N°1 | Le langage de l’art : pour une sémiotique de l’ostension

Par Gilles Lévêque, Université du Littoral Côte d’Opale

 

Résumé :

Partant de l’idée selon laquelle une œuvre d’art n’est pas codée comme un langage, ce travail constate cependant que l’œuvre d’art appelle le regard, par quoi elle fait signe vers le spectateur, comme si elle était pointée du doigt. Voilà qui permet de dire que l’œuvre d’art relève d’une sémiotique de l’ostension dont ce travail est l’esquisse. Le geste d’ostension est cependant muet dans le champ de l’art (si l’on excepte le paratexte souvent laconique). Il n’est donc intelligible que parce qu’il s’appuie sur un discours implicite considéré comme allant de soi qui détermine a priori, pour chaque culture et à chaque époque, comment il convient de regarder une œuvre d’art, ce qu’il convient d’y regarder et pourquoi. Il apparaît que ce discours implicite est constitutif d’une catégorisation à chaque fois déterminée, qui vient gouverner la sémiose de l’œuvre d’art. Ce sont les éléments fondamentaux qui articulent principiellement cette catégorisation qui sont ici présentés, pour finir par en appeler, avec la sémiotique de l’ostension, à une histoire et une géographie culturelle du regard esthétique.

Abstract :

Beginning with the idea that a work of art is not codified as a language, this paper observes, however, that the work of art summons the gaze, it waves to the viewer, as if it were pointed at. This makes it possible to say that the work of art has to do with a semiotic of ostension, which this paper means to outline. The act of ostension, however, is silent in the field of art (except for the often laconic paratext). It is therefore intelligible only because it is based on an implicit discourse that is considered to be self-evident and that determines, a priori, for each culture and at each epoch, how to look at a work of art, what should be looked at and why. It appears that this implicit discourse is constitutive of a categorization that is determined each time, which comes to govern the semiosis of the work of art. The fundamental elements which articulate this categorization are presented here, and then, with the semiotics of ostension, a history and a cultural geography of the aesthetic gaze will be called forth.

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La sémiotique des images, et plus encore celle des arts visuels, ne suscite plus aujourd’hui autant d’engouement que lors des années 1960, quand on assistait à son épanouissement. Certes, on lui doit quelques belles réalisations,[1] mais on lui a reproché une certaine stérilité en vertu de son inadéquation à l’objet d’étude, pour autant qu’il ne serait pas vraiment possible, sinon de manière très artificielle, de ramener l’image, en particulier l’image artistique, aux éléments simples d’un code[2]. La sémiotique se heurte ici à la spécificité de la peinture d’être un art autographique et non pas, pour reprendre la distinction de Nelson Goodman.[3] De fait, la peinture n’utilise pas une notation et par conséquent un code constitué d’éléments signifiants discrets en nombre fini (comme la musique avec le solfège et les partitions), elle est au contraire un art au sein duquel le moindre changement visuel s’accompagne d’un changement sémantique.[4] À suivre la pensée de Nelson Goodman, et on voit mal qu’on ne soit pas condamné à le faire du moins ici, il n’est pas possible de codifier la peinture et partant d’en ramener le fonctionnement signifiant à celui du langage verbal : la richesse infinie de la peinture nous interdirait de la penser à partir de l’articulation, serait-elle double, d’éléments simples qui seraient équivalents aux phonèmes et aux morphèmes.

Il est pourtant difficile de renoncer à l’idée que la peinture et au-delà l’art soient un langage, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’art véhicule du sens, en suscitant une compréhension et pas simplement une délectation. L’œuvre d’art n’est pas seulement une source de plaisir, elle nous parle. Et nous aimerions bien souvent disposer des règles de son langage, de manière à mieux comprendre ce que nous présumons être son sens, notamment, bien entendu, quand nous avons le sentiment que celui-ci nous échappe. Nous aimerions donc disposer de quelque chose comme d’une herméneutique à même de nous permettre de déterminer avec sûreté le sens des œuvres. Or, c’est bien ce que nous promettait la sémiotique des arts visuels et plus largement des images, à laquelle nous avons dès lors du mal à renoncer.

Sommes-nous cependant condamnés à devoir nous en priver ? Il le semble bien, s’il est vrai que la spécificité des arts visuels tient à ce qu’ils se réfèrent au réel sur le mode de la dépiction et non pas de la description [5]. Les arts visuels ne disent pas les choses, ils ne les décrivent pas et ne les expliquent pas davantage, ils se contentent de les montrer. Mais dans cet acte de montrer il y a indiscutablement une intention, comme le souligne à juste titre Gérard Wajcman :

Le seul fait de se trouver devant une œuvre d’art et de se dire « c’est quoi ce machin ? », c’est déjà supposer un sujet à cette œuvre. Ce n’est là rien qu’un détail, impalpable mais capital : supposer un sujet, c’est supposer simplement que quelqu’un nous montre quelque chose. Qu’il y a quelqu’un qui veut nous montrer quelque chose. [6]

Mais pourquoi l’artiste d’abord, le galeriste ensuite, le musée enfin et même l’acheteur veulent-ils montrer l’œuvre, l’exposer, la donner à voir ?[7] Naturellement parce qu’ils estiment qu’elle consiste en un objet digne d’être regardé, observé, scruté, admiré, bref qu’elle est digne de considération.[8] Or, nous pouvons présumer que si l’œuvre d’art est digne de considération, à l’inverse du prodige ou du bibelot, ce n’est pas simplement parce qu’elle est étonnante ou belle, mais bien parce qu’elle porte du sens.[9] En conséquence, l’œuvre d’art relève d’un « vouloir-montrer », que nous appellerons désormais une ostension, qui est en même temps un vouloir-dire. Il y a donc là un geste d’ostension qui fait sens.[10]

Voilà qui permet d’esquisser notre projet : rendre raison du caractère non verbal, non linguistique, et a priori non codé de l’art, donc faire droit à sa spécificité, mais sans renoncer pour autant, du moins autant que faire se peut, aux avantages que nous promettait une sémiotique des œuvres d’art, à partir de cette constatation que si l’art ne relève pas du langage verbal il relève à tout le moins d’un langage gestuel qui a sa logique propre.[11] Les limites du présent travail ne nous permettent naturellement pas d’exposer dans toute son extension la sémiotique de l’ostension que nous appelons de nos vœux. Il nous suffira, pour l’heure, d’en montrer la pertinence et les grandes articulations dans une perspective pour l’essentiel programmatique.

Le domaine que nous tentons d’explorer est quasiment vierge. Certes, la linguistique s’est largement préoccupée des déictiques, soit de ces termes qui, comme « je », « tu », « ici », « maintenant », auxquels il convient bien entendu d’ajouter les démonstratifs, se réfèrent à un élément du contexte du locuteur.[12]Mais les préoccupations des linguistes portent évidemment sur les éléments de langage et non pas sur les gestes en tant qu’ils font sens, lesquels ne sont pris en considération que dès lors qu’ils accompagnent certains déictiques pour les rapporter à leur référent. Ce n’est pas là que nous trouverons de quoi nourrir une sémiotique de l’ostension muette. On retiendra seulement que le geste ostensif permet de déterminer précisément ce à quoi on se réfère dans le contexte d’énonciation, en venant tout simplement le pointer. Il semble en conséquence que le geste d’ostension ne puisse pas avoir d’existence autonome, et qu’il doive nécessairement accompagner une verbalisation ; il serait sinon condamné à être inintelligible parce que par lui-même bien trop indéterminé.

Wittgenstein, qui est un des rares philosophes à s’en être préoccupé, a souligné le caractère principiellement ambigu du geste ostensif, et ce même lorsqu’il accompagne l’usage de déictiques, en l’occurrence lorsque le geste ostensif est utilisé comme manière de définir un nom (de le rapporter à son référent).[13]Pour reprendre son exemple, si je montre un groupe de deux noix sur une table en disant « ceci s’appelle “deux” », la personne à qui je m’adresse peut comprendre que « l’on nomme “deux” ce groupe de noix »,[14] et l’on peut ajouter qu’elle peut également comprendre que ce qui est désigné par “deux” c’est la forme, ou bien la couleur, ou encore le genre de fruits dont les deux noix constitueraient une exemplification. « Ce qui veut dire que dans chaque cas, la désignation ostensive peut être interprétée de diverses façons ».[15] Il en est ainsi lorsque le geste d’ostension accompagne une énonciation, on voit mal dans ces conditions comment, sans énonciation préalable, l’indétermination sémantique du geste pourrait ne pas être conduite à son paroxysme.

L’ostension de l’œuvre d’art (son exposition) ne nous laisse pourtant pas inévitablement hébétés d’incompréhension, et nous prétendons sinon toujours au moins souvent comprendre ne serait-ce qu’un tant soit peu les œuvres exposées. Cela veut dire que l’ostension est a priori en mesure de nous faire voir et partant de nous faire comprendre ce qu’il y a à voir et à comprendre, cela veut dire par conséquent qu’elle est en mesure de lever au moins en partie l’indétermination qui semble l’affecter fondamentalement. Si nous voulons élaborer une sémiotique de l’ostension, c’est dans la détermination de la manière dont le geste ostensif peut faire sens en l’absence de tout énoncé préalable (ou presque, on va le voir) que nous devons d’abord la chercher.

Une œuvre d’art, avons-nous dit, est signalée à l’attention comme si un index était pointé sur elle qui intimait cet ordre : « regardez cet objet ! » Pourtant, à moins de bénéficier des lumières de quelque conférencier, on ne verra aucun index réel se diriger vers les œuvres d’art. En fait, le contexte y suffit : l’œuvre est exposée sinon dans un lieu dont la fonction est précisément de donner à voir les objets qui y sont présentés (musée, galerie, lieu d’exposition consacré à l’art), elle est de toute façon (même chez un particulier) disposée de sorte à attirer la vue et à faciliter l’observation.[16] Pour le dire simplement, l’œuvre d’art requiert d’être mise en évidence, et d’être disposée de manière à s’offrir manifestement, étant donné les usages en vigueur, à l’observation attentive. Le contexte d’exposition (au sens large) relève donc proprement d’une ostension de l’œuvre d’art.

En toute rigueur, il est inexact d’affirmer que cette ostension, du moins selon les usages ayant actuellement cours, est indépendante de toute production verbale. De fait, les œuvres exposées sont accompagnées d’un paratexte, sous la forme tout d’abord du cartel qui donne un certain nombre d’indications sur l’œuvre, mais également sous la forme de l’appareil de médiation déployé à l’occasion de toute exposition, sans parler de ce qui a pu être écrit ou dit dans les médias au sujet de ladite exposition. On admettra cependant volontiers que cet appareil discursif ne nous donne que des indications très limitées sur la manière dont il convient de regarder l’œuvre. Or, quand on cherche à comprendre un geste ostensif, les questions que l’on se pose sont celles-ci : que montre-t-il (précisément), comment montre-t-il (comment convient-il de regarder en conséquence ce qui est montré), et pourquoi le montre-t-il (dans quelle intention) ? Dès lors, si l’ostension de l’œuvre d’art parvient à satisfaire le public, au moins le public éclairé, alors même qu’elle ne s’accompagne pas d’un discours suffisant pour le comprendre, c’est bien entendu parce que ce discours, nécessaire donc, est bel et bien présent mais de manière seulement implicite.

Cela veut dire que l’identification de l’œuvre d’art comme telle vient l’inscrire dans un horizon tout aussi bien intellectuel (celui des connaissances) que pratique (celui des comportements) de sorte que la familiarité tant intellectuelle que pratique à l’égard des œuvres d’art nous permette de nous y retrouver. De manière à articuler cet horizon en ses éléments les plus fondamentaux, nous allons nous appuyer sur ce que maint sémioticien appelle l’« encyclopédie », qui nous permet de catégoriser ce que nous percevons de telle sorte que nous soyons en mesure de savoir à quoi nous avons affaire, à quoi nous attendre, et comment nous devons nous comporter. [17] Certes, une telle encyclopédie qui, pour faire simple, rassemble pour chacun l’ensemble des connaissances acquises de quelque manière que ce soit au cours de sa vie, est fort loin d’être rigoureusement structurée, mais on peut néanmoins y déceler une certaine arborescence (du genre le plus élevé aux espèces dernières) et partant plusieurs niveaux fondamentaux. Il nous suffira ici de pointer les plus décisifs d’entre eux.

La catégorie la plus élevée sous laquelle l’œuvre d’art est subsumée en étant identifiée comme telle est bien entendue celle d’œuvre d’art. Nous avons tous une certaine idée de l’œuvre d’art,[18] au moins acquise par familiarité à l’égard de ce que notre communauté linguistique appelle « œuvre d’art ». Nous savons également tous de quelle manière il convient de se comporter devant une œuvre d’art dans le principe, nous savons ce qu’il convient de faire avec les œuvres d’art, nous connaissons tout simplement les usages. Nous savons plus précisément pour l’essentiel dans quelle intention (pourquoi) des œuvres d’art sont produites et exposées, comment il convient de les regarder, ce qu’il convient d’y voir : l’œuvre d’art, pour s’en tenir à l’ancienne tradition occidentale qui sert encore de référence ne serait-ce qu’au titre de repoussoir, est produite et exposée afin de « porter à la conscience et exprimer le divin, les intérêts humains les plus profonds, les vérités les plus englobantes de l’esprit », [19] il convient seulement de la regarder attentivement et ce en tant qu’elle montre autre chose qu’elle-même en sa matérialité et partant d’y porter un regard esthétique, il convient enfin d’y saisir, au-delà de l’imitation idéalisée de la nature, la conception du monde qui s’y exprime. Assurément, avec l’idée de l’œuvre d’art nous disposons des informations qui nous permettent de savoir quoi faire, pour l’essentiel, avec une œuvre d’art.

Naturellement, compréhension et comportement se répondent : la compréhension de l’œuvre d’art, quand bien même elle n’aurait jamais été réfléchie ni même verbalisée, s’incarne dans la manière dont nous nous comportons à son égard. C’est dire qu’il n’est pas nécessaire d’être philosophe pour disposer d’une telle idée : la simple familiarité avec ces objets que nous nommons « œuvres d’art » et avec les usages en vigueur relativement à ces objets nous permet d’intégrer à la fois ces usages et l’idée de l’art qui les motive. En conséquence tout être humain, qu’il le sache ou non, dispose d’une certaine conception de l’art, de ce qu’est une œuvre d’art, idée du reste le plus souvent ininterrogée et même non réfléchie, voire pas même énoncée – elle est alors présente dans l’esprit sous la forme d’une (pseudo-)évidence, pour résider finalement davantage dans les comportements qui la trahissent que dans l’esprit lui-même.

Il convient cependant de remarquer que la définition de l’œuvre d’art n’a cessé de varier au cours de l’histoire de l’art, singulièrement depuis la fin du XIXe siècle, si bien que ce qui était susceptible d’être identifié en tant qu’œuvre d’art a connu les mêmes variations. Que l’on songe, à titre d’exemple, qu’avant le XXe siècle jamais une peinture abstraite n’aurait pu être reconnue comme de l’art. C’est la peinture symboliste de la fin du XIXe siècle qui a permis au public de s’acclimater progressivement d’une part à l’idée que l’œuvre d’art devait davantage servir l’expression des sentiments intérieurs, en particuliers spirituels, que l’imitation fidèle de la réalité extérieure, et d’autre part à l’idée que les lignes, les formes et les couleurs signifiaient quelque chose par elles-mêmes indépendamment de la réalité qu’elles pouvaient figurer. C’est évidemment cet apport de la peinture symboliste qui a rendu possible, dans les années 1910, l’émergence d’une peinture affranchie de la figuration. Muni de cette nouvelle théorie, selon laquelle l’œuvre d’art devait exprimer d’abord et avant tout les sentiments de l’artiste, et qu’elle pouvait y parvenir uniquement par des harmonies de lignes, de formes et de couleurs dans une sorte de musicalité picturale, le public était désormais à même de pouvoir percevoir une peinture abstraite comme une authentique œuvre d’art – et non pas comme le produit d’un enfant, d’un fou ou d’un plaisantin.

Arthur Danto, qui a défendu avec toute la netteté souhaitable cette thèse selon laquelle la perception d’un objet en tant qu’œuvre d’art est toujours tributaire d’une certaine conception de l’art, en vient logiquement à cette conclusion : « On ne peut voir quelque chose comme une œuvre d’art que dans l’atmosphère d’une théorie artistique et d’un savoir concernant l’histoire de l’art. L’art, dans son existence même, dépend toujours d’une théorie ».[20] En ce qui nous concerne, dans la mesure où notre propos n’est pas de savoir comment s’élabore l’idée de l’art qui est la nôtre[21] mais seulement de comprendre que c’est toujours à partir d’une telle idée que nous pouvons percevoir certains objets (et d’autres non) en tant qu’œuvres d’art, nous ne parlerons pas de théorie de l’art mais bien d’idée sur l’art – étant entendu que cette idée n’a même pas besoin d’être réfléchie ni même verbalisée pour être opérante, en l’occurrence au sein des comportements que nous adoptons à l’égard des œuvres d’art conformément aux usages en vigueur. L’idée de l’art est ce qui, pour chaque culture, à chaque époque, détermine d’abord et avant tout comment nous comprenons ces objets que nous appelons « œuvres d’art », et comment en conséquence nous nous y rapportons. À tout le moins, c’est inévitablement à partir d’une telle idée que nous percevons l’œuvre d’art comme ce qui requiert notre attention, et ce de telle ou telle manière, par exemple pour y admirer l’imitation idéalisée de la nature ou pour y lire l’expression des sentiments de l’artiste – selon la conception de l’art alors dominante. Ce qu’il convient de voir dans une œuvre d’art, comment il convient de la percevoir, et pourquoi elle sollicite notre attention, voilà qui est fondamentalement déterminé par l’idée de l’art qui est la nôtre, de telle sorte que l’ostension de l’œuvre d’art, faisant fond sur ce savoir implicite, est un geste signifiant aux yeux du public ainsi en mesure de le comprendre.

Ainsi, pour pouvoir comprendre de quoi il retourne avec les œuvres du passé ou d’autres cultures, et ne serait-ce que pour pouvoir savoir ce à quoi il convient d’être attentif dans ces œuvres et comment il convient de les regarder, il est nécessaire d’avoir une connaissance des différentes conceptions de l’art régnant dans les différentes cultures et ayant régné par le passé. Du point de vue historique, pour une même culture, il est également nécessaire de savoir comment les différentes conceptions de l’art successives s’articulent les unes aux autres, comment elles se sont progressivement déployées les unes par rapport aux autres. Il s’agit ici du déploiement historique et, pourrait-on dire, géographique de l’idée de l’art. À défaut de connaissances dans ce domaine, nous n’avons aucun accès possible aux œuvres des autres cultures et des autres époques,[23] ce qui veut dire tout aussi bien que la compréhension des œuvres de notre culture et de notre époque est condamnée à manquer singulièrement de profondeur et d’intelligence. De fait, si je crois que l’art de ma culture et de mon époque est le seul art possible, si je ne soupçonne même pas que l’idée de l’art sur laquelle il s’appuie est le fruit d’une longue histoire, faite notamment d’influences diverses, il est difficile de prétendre que je comprenne proprement l’art de ma culture et de mon époque, si ce n’est de manière très superficielle.

A un étage en dessous dans l’arborescence de la catégorisation de l’œuvre d’art, nous trouvons les différents genres qui articulent de fait le concept d’art. On en fait le constat, les arts sont multiples, dans toutes les cultures – musique, chant, poésie, littérature, théâtre, peinture, sculpture, architecture, à présent image animée (cinéma et vidéo), qu’ils soient séparés ou mêlés, dans des constellations à chaque fois différentes selon les cultures et les époques. Hans R. Jauss, dans son « esthétique de la réception », accorde la première place à cette connaissance des genres pour une culture donnée à une époque donnée. Voilà ce que l’on peut notamment lire sous la plume de l’historien de la littérature :

L’analyse de l’expérience littéraire du lecteur échappera au psychologisme dont elle est menacée si, pour décrire la réception de l’œuvre et l’effet produit par celle-ci, elle reconstitue l’horizon d’attente de son premier public, c’est-à-dire le système de références objectivement formulable qui, pour chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs.[24]

Jauss cite aussitôt, au titre du premier de ces trois facteurs, « l’expérience préalable que le public a du genre dont elle relève ». Il fait ici référence aux différents genres littéraires, et à la forme qu’ils peuvent prendre à chaque époque, mais il est bien évident que l’on peut élargir ses analyses aux autres arts, en pensant par exemple, pour ce qui est des arts plastiques, à la distinction traditionnelle entre peinture, dessin, gravure ou sculpture et, pour ce qui est de la peinture, à la justement nommée hiérarchie des genres (du tableau d’histoire à la nature morte). Quel que soit l’art considéré, il s’articule en effet selon des genres factuellement déterminés dans lesquels le public inscrit les œuvres auxquelles il a affaire, et à partir desquels en conséquence il donne sens aux œuvres dans le cadre défini par ces genres.

Assurément, en apparaissant comme relevant de tel ou tel genre déterminé, l’œuvre va être catégorisée dans une des espèces voire des sous-espèces de l’art, dans une catégorisation en cascade : il s’agit de peinture, du genre de la nature morte, et de l’espèce, si l’on peut dire, de la nature morte flamande du XVIIe siècle par exemple, voire de la sous-espèce de la peinture de bouquets de fleurs. Les catégorisations, au moins chez les spécialistes, peuvent être extrêmement fines et complexes. La catégorisation à laquelle on procède détermine ce à quoi l’on peut s’attendre avec une œuvre relevant de tel ou tel genre, et partant va susciter l’ennui, si l’œuvre est d’un conformisme désespérant, ou la surprise si elle déjoue les attentes de son public. Ce qui importe surtout à Jauss c’est de pouvoir déterminer l’écart entre une œuvre et l’horizon d’attente de son premier public afin de pouvoir mesurer sa singularité (la créativité de son auteur, ses audaces) et par suite l’effet qu’elle était destinée à produire sur ce public.[25] Notre préoccupation est un peu différente, qui ne vise qu’à déterminer les conditions de la compréhension des œuvres, que ces dernières soient bonnes ou mauvaises, révolutionnaires ou conformistes. Il nous suffit donc de remarquer que la catégorisation des œuvres au moyen des genres et des espèces est essentielle pour une telle compréhension, même, on l’aura compris à la suite de Jauss, quand les œuvres résistent à de telles classifications par leurs audaces et en appellent à une redéfinition des genres.

Le deuxième facteur constitutif de l’horizon d’attente selon Jauss, comme il le précise à la suite du texte que nous venons de citer, est « la forme et la thématique d’œuvres antérieures dont elle [l’œuvre] présuppose la connaissance». Nous descendons encore d’un pallier dans l’arborescence de la catégorisation des œuvres d’art, puisqu’il s’agit désormais des thèmes traités au sein même des genres (ou des espèces) dont il était question dans les considérations précédentes. De fait, comment peut-on prétendre véritablement comprendre une annonciation d’un maître italien de la fin du XVIe siècle si on ne connaît pas le traitement apporté à ce thème par ses prédécesseurs ? Sans cette connaissance préalable, ce qu’il y a de propre à l’œuvre échappe inévitablement au regard qui n’en comprend donc pas la spécificité. C’est à ce niveau, le plus fin, que nous accédons à la singularité des artistes et au-delà de leurs œuvres. Cette connaissance fine de l’histoire de l’art est requise par l’ostension de l’œuvre d’art, faute de quoi le spectateur ne sait pas précisément ce qu’il doit regarder, ou si l’on préfère ce vers quoi précisément l’ostension souhaite attirer ses regards.

On pourrait assurément raffiner la description des grands niveaux de la catégorisation de l’œuvre d’art permettant une compréhension fine de l’ostension des œuvres, mais notre objectif était seulement d’esquisser la manière dont s’articule fondamentalement le savoir implicite sur lequel l’ostension de l’œuvre d’art doit faire fond afin de pouvoir être intelligible.

Ces analyses appellent, en dernier lieu, deux remarques essentielles. La première porte sur les difficultés d’accès aux œuvres d’art, bien connues depuis les travaux de Bourdieu,[26] dont il convient de réaffirmer la pertinence. Indiscutablement, étant donné l’indétermination inhérente à l’ostension, celle-ci présuppose nécessairement tout un ensemble de connaissances, ne serait-ce que sur le mode de la familiarité, sans lequel le spectateur ne peut rien comprendre à ce qu’on lui montre. Plus précisément, la connaissance des théories de l’art et de leur évolution au cours de l’histoire est indispensable pour savoir comment il convient de regarder une œuvre d’art, de quelle manière elle sollicite l’attention. Et certes, un dripping de Pollock ne se regarde pas de la même façon qu’un tableau de Poussin, un ready-made de Duchamp ne s’offre pas aux regards de la même façon qu’une sculpture de Donatello, et les travaux de Claude Closky appellent un tout autre mode d’appréhension que les tableaux de Raphaël. La distinction, ici, ne porte pas d’abord sur ce qu’il y a à voir mais bien sur la manière dont il convient de regarder ces différentes œuvres, manière de regarder gouvernée par la conception de l’art dont chacune est tributaire. Au-delà, nous l’avons vu, une connaissance de l’histoire de l’art, voire des différentes cultures dès lors qu’il s’agit d’œuvres produites sur d’autres continents, est nécessaire si nous voulons comprendre ce qui nous est donné à voir.

La deuxième remarque essentielle que nos analyses appellent porte sur la nature de la sémiotique dont il s’agit ici, que nous avons appelée « sémiotique de l’ostension ». Certes, on peut bien dire avec Bourdieu que « l’appréhension adéquate de l’œuvre culturelle, et en particulier de l’œuvre de culture savante, suppose, au titre d’acte de déchiffrement, la possession du chiffre selon lequel l’œuvre est codée ».[27] Mais il ne faut pas se méprendre sur la nature de ce « code ». De fait, la « lecture » de l’œuvre d’art ne consiste pas dans l’appréhension d’une réalité arbitrairement codée. Ici, rien qui se rapproche de près ou de loin de la structure du langage verbal. Avec ce « code » dont parle Bourdieu, il s’agit en vérité de conventions certes mais relatives à des usages, et en l’espèce à des usages du regard corrélatifs aux différentes manières dont les œuvres d’art peuvent être conçues et « pratiquées » selon les époques et les cultures ; il ne s’agit donc pas d’un système de signes. En d’autres termes, il n’est pas question de lire mais de voir, étant entendu qu’on ne peut comprendre ce qui est donné à voir dans l’ostension que si l’on sait ce qu’il convient de regarder, comment il convient de le regarder, et en définitive pourquoi il convient de le regarder. C’est là que résident les conventions, variables selon les cultures et les époques, qui déterminent un usage à chaque fois différent des œuvres et tout aussi bien du regard qui se porte sur elles.

Il en résulte que la sémiotique de l’ostension que nous appelons de nos vœux n’entend pas rabattre le langage de l’art sur le langage verbal, et compte au contraire le préserver dans toute sa spécificité. Quant au savoir nécessaire à une appréhension satisfaisante des œuvres d’art, il n’est pas ce qui donne arbitrairement sens à des éléments sinon inintelligibles, puisqu’il permet seulement d’être au fait sur ce qu’une culture, une époque, et au-delà un courant artistique, un artiste, une œuvre entend nous faire voir et sur la manière dont il convient d’appréhender ce qui est ainsi donné à voir. Au fond, bien plus que la linguistique c’est l’herméneutique phénoménologique qui pourrait nous être ici d’un grand secours, pour autant que cette dernière conçoit la compréhension comme une vue (Sicht) et l’énoncé comme une mise en évidence (Aufzeigung).[28] Or, c’est bien de cela qu’il s’agit avec le savoir préalable nécessaire à la compréhension des œuvres d’art, pour autant que ce savoir doit être entendu comme une précompréhension de prime abord et le plus souvent implicite de l’œuvre d’art comme telle, précompréhension à partir de laquelle l’œuvre d’art peut seulement se montrer en tant que telle. Cette précompréhension, même lorsqu’elle s’explicite en venant du même coup s’élaborer, n’est pas un code venant faire écran au réel mais seulement un horizon de visibilité d’abord et le plus souvent passablement creux (simples opinions, préjugés…), en attente d’une mise en lumière phénoménale seule à même d’en remplir ou d’en contester les attentes et par suite, en toute probabilité, d’en rectifier les vue.[29] Manières de voir donc, non pas gouvernées cependant par une ouverture de l’être pour le moins hypothétique mais par la manière dont l’œuvre d’art est à chaque fois conçue et « pratiquée » selon les époques et les cultures, manières de voir qu’il convient par conséquent de déterminer en fonction du contexte historique et culturel. Avec une sémiotique de l’ostension, c’est donc une histoire et une géographie culturelles du regard esthétique, et tout aussi bien de l’œuvre d’art entendue comme dispositif visuel engageant à chaque fois des manières spécifiques de (se) montrer, que nous appelons de nos vœux.[30]

[1] On peut penser en particulier au Traité du signe visuel, Pour une rhétorique de l’image du Groupe µ (Francis Edeline, Jean-Marie Klinkenberg, et Philippe Minguet), Paris, Seuil, 1992, ou aux œuvres de Louis Marin, de Jean-Marie Floch et de Félix Thürlemann.

[2] C’est une thèse désormais très largement partagée, que l’on trouve exprimée avec toute la clarté voulue par Anne Cauquelin : « le langage pictural […] ne peut s’appuyer, comme c’est le cas pour la langue, sur les unités de base que sont les phonèmes. Ces unités de base sont introuvables […] en peinture – la forme revêt tout de suite une signification, la couleur est liée au symbolisme en vigueur dans une culture donnée, formes et couleurs sont immédiatement interprétées […]. De plus ces unités si on essaie de les distinguer sont en nombre illimité et donc inaptes à former un ‘corpus’ » (Les Théories de l’art, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2010, p. 85). On aboutit alors « à la conclusion raisonnable qu’il est vain de vouloir « transposer mécaniquement » les concepts linguistiques à d’autres domaines. Seules les analogies fonctionnelles sont éclairantes mais elles se placent à un niveau de généralité trop élevé pour être instructives » (Jean-Pierre Cometti, Jacques Morizot et Roger Pouivet, Questions d’esthétique, Paris, PUF, 2000, p. 59).

[3] Nelson Goodman est un philosophe américain qui, considérant l’art comme un langage, a tenté de le caractériser au travers de symptômes qu’il appelle les « symptômes de l’esthétique ». Sur ces symptômes, cf. en particulier Langages de l’art, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1990, VI, 5, cf. également « Quand y a-t-il art ? », Manières de faire des mondes, Paris, Gallimard, 2006, p. 101-102, et enfin L’Art en théorie et en action, Paris, Éditions de l’Éclat, « L’art en théorie », p. 6.

[4] Cf. Langages de l’art, op. cit., chap. III.

[5] Je reprends ici une distinction de Nelson Goodman mais sans le suivre dans ses analyses ; cf. à nouveau Langages de l’art, op. cit., chap. I, § 9 « Description et dépiction ». Il faut entendre la dépiction comme l’acte de dépeindre.

[6] L’Objet du siècle, Paris, Verdier, 2012, p. 69. Le sujet dont parle ici un peu maladroitement G. Wajcman n’est pas le contenu de l’œuvre, son thème, son « objet », mais son auteur entendu comme sujet conscient.

[7] On peut certes dire que l’acheteur soustrait l’œuvre aux regards du public, mais il est bien rare de voir un collectionneur qui ne soit pas heureux d’exhiber les œuvres qu’il possède, ne serait-ce qu’à son cercle d’amis.

[8] Ce que Rémy Zaugg exprime fort justement en ces termes : « Exposer peut se résumer à dire : « Regardez ceci ». Exposer est un acte qui force les objets à être contemplés et qui commande à l’œil de regarder ces objets. » (Coll., L’exposition imaginaire : The Art of Exhibiting in the Eighties, La Haye, SDU Uitgeverij Rijksdienst Beeldende Kunst, 1989, p. 362).

[9] Une telle affirmation, passablement mise à mal depuis les années 1970 pour ne pas remonter à la décennie antérieure, exigerait d’être justifiée. Mais voilà qui dépasse les cadres de ce travail, et qui ne peut donc ici qu’être postulé.

[10] L’ostension ne désigne pas ici, bien sûr, l’exhibition exceptionnelle d’une œuvre lors d’une procession dans le cadre d’une fête religieuse, mais sa simple exposition. Le terme d’« ostension » a l’avantage, sur celui d’« exposition », de rendre manifeste l’idée d’un signe (le geste d’ostension) attirant l’attention sur l’objet exposé.

[11] Il n’est pas inutile de préciser à cet égard que dans les traductions de Peirce le mot français « indice » traduit le mot anglais « index », qui désigne l’un des trois types fondamentaux de signes à côté du symbole et de l’icône, tandis que cet index/indice est défini comme ce qui « montre du doigt la chose ou l’événement même qui se présente » (Lettre à Lady Welby du 14 décembre 1908, in Charles S. Peirce, Ecrits sur le signe, Paris, Seuil, 1978, p. 40-41).

[12] Sur les déictiques on se réfèrera utilement à la mise au point de Georges Kleiber dans son article « Déictiques, embrayeurs, « token-reflexives », symboles indexicaux, etc. : comment les définir ? », L’information grammaticale, n° 30, 1986, p. 3-22.

[13] Cf. en particulier les Recherches philosophiques, § 28.

[14] Ibid.

[15] Ibid.

[16] Certes, une œuvre d’art peut être remisée dans des réserves, mais il s’agit alors d’un véritable déclassement de l’œuvre, jugée, ne serait-ce que provisoirement, comme n’étant plus (proprement) digne d’être portée à l’attention des visiteurs.

[17] Sur la notion sémiotique d’« encyclopédie », cf. p. ex. Umberto Eco, Kant et l’ornithorynque, 4 (« L’ornithorynque entre dictionnaire et encyclopédie »).

[18] À vrai dire, par le passé, ce que nous Occidentaux appelons œuvre d’art (soit un objet produit en vue de susciter une contemplation esthétique) n’existait pas, puisque ces objets que nous identifions comme œuvres d’art n’étaient pas destinés à une contemplation esthétique – ils avaient une fonction pratique (religieuse). Il n’en demeure pas moins que ceux qui y étaient confrontés avaient une certaine idée de ces objets, catégorisés et identifiés comme les autres. On nous pardonnera dès lors de maintenir le terme d’« œuvre d’art » même s’il s’avère en toute rigueur inadapté dans bien des cas, sachant que la désignation ne change rien au travail de sémiose ici décrit.

[19] Hegel, Cours d’esthétique, Paris, Aubier, 1995, T. 1, p. 13 et passim.

[20] La Transfiguration du banal, Paris, Seuil, 1989, p. 217-18. La première expression de cette thèse se trouve dans le célèbre article « Le monde de l’art » de 1964, que l’on trouve en français notamment dans l’ouvrage Philosophie analytique et esthétique, textes présentés par Danielle Lories, Paris, Klincksieck, 2004. On peut y lire en particulier ceci : « Voir quelque chose comme de l’art requiert quelque chose que l’œil ne peut apercevoir – une atmosphère de théorie artistique, une connaissance de l’histoire de l’art : un monde de l’art » (p. 193).

[21] Du reste, il n’est pas dit que ce soit toujours théoriquement que s’élabore l’idée de l’art à chaque fois en vigueur ; nous pensons ici en particulier aux époques et aux régions qui n’ont pas cultivé la rationalité.

[22] Que l’on songe ici à la difficulté de savoir comment il convient d’aborder les peintures pariétales, ou plus près de nous l’art « ethnique » traditionnel jadis destiné à un usage religieux, magique, et non pas à la contemplation esthétique. Un dessin de sable aborigène (au moins quand les mythes aborigènes étaient encore vraiment vivants pour cette ethnie) ne se donne évidemment pas à appréhender comme un paysage impressionniste. Par ailleurs, même un tableau de dévotion de la pré-Renaissance italienne n’était pas abordé à l’époque comme nous l’abordons aujourd’hui, puisqu’il avait une fonction essentiellement religieuse et non pas esthétique.

[23] Nous entendons l’accès authentique aux œuvres d’art d’époques et/ou de cultures différentes au sens de Hans R. Jauss, c’est-à-dire comme accès qui réinscrit les œuvres dans l’horizon de réception de leur premier public, ce qui permet du même coup de reconstituer l’intention qui a conduit à leur production en éliminant, du moins autant que faire se peut, toute subjectivité. Sur ce point, cf. son ouvrage Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, collection Tel, 1978. Nous donnons quelques précisions sur cette théorie dans le paragraphe suivant.

[24] Hans R. Jauss, op. cit., p. 54. Les italiques sont de l’auteur.

[25] Sur ce point, cf. ibid. p. 58-60 notamment.

[26] Ses deux ouvrages essentiels sur le sujet sont L’Amour de l’art, Paris, Editions de Minuit, 1966, ouvrage écrit en collaboration avec Alain Darbel, et La Distinction, Paris, Editions de Minuit, 1979.

[27] L’Amour de l’art, op. cit., p. 108.

[28] Cf. Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1984, respectivement § 31 p. 146 et § 33 p. 154.

[29] On se réfèrera sur ce point à la manière dont Heidegger entend résoudre phénoménologiquement le problème du cercle herméneutique ; cf. Sein und Zeit, § 63.

[30] Signalons qu’une telle histoire de la vision peut déjà s’enorgueillir de quelques réalisations, même si elle manque encore d’un fondement théorique vraiment satisfaisant. Nous pensons en particulier à l’œuvre séminale d’Heinrich Wölfflin, dès le tout début du XXe siècle, et plus récemment bien sûr au travail de Régis Debray, Vie et mort de l’image, Une histoire du regard en occident, Paris, Gallimard, 1992. Mais on peut citer également l’ouvrage de Jonathan Crary, Techniques of the Observer: On Vision and Modernity in the Nineteenth Century, Cambridge, MIT Press, 1990, ou celui de William. J. T. Mitchell, Iconology : Image, Text, Ideology, Chicago, University of Chicago Press, 1987.

Agrégé de philosophie, docteur en philosophie (thèse de phénoménologie), titulaire d’un diplôme des beaux-arts et licencié en histoire de l’art, Gilles Lévêque enseigne la philosophie de l’art et l’histoire de l’art dans la filière Culture de l’Université du Littoral Côte d’Opale. Son travail de recherche, dans le champ de l’esthétique et de la philosophie de l’art, entend préserver à l’art sa spécificité sans pour autant le lire depuis la métaphysique.