N°3 | Récit réflexif sur le processus d’élaboration d’une nouvelle catégorie sfezienne de la communication

Par Tiphaine zetlaoui

Résumé :

La présente contribution se propose de relater sous forme de récit réflexif les différentes étapes qui nous ont conduites à réactualiser le système de catégorisation métaphorique et technologique du réel du théoricien de la communication L. Sfez. Nous restituons la trame de réflexion que nous avons suivie pour élaborer une quatrième catégorie de la communication en pointant les écueils épistémologiques et institutionnels auxquels nous nous sommes confrontés durant ce travail engagé et mené durant notre doctorat sous la direction de L. Sfez.  Nous avons souhaité dans le cadre du dossier thématique consacré aux évolutions des paradigmes mobilisés en SIC, présenter le fruit d’un travail de recherche mené principalement pendant notre doctorat. Nous avons été amenées au cours de notre thèse, à revisiter certaines catégories conceptuelles mises au jour par notre directeur de thèse, Lucien Sfez, théoricien de la communication. Ce dernier affirme dans son livre « Critique de la communication » que la communication « a envahi métaphoriquement l’ensemble des sciences humaines et des pratiques politiques, sociales, culturelles et économiques » (Sfez, 1992, p. 41). Les hommes adoptent selon lui, des attitudes de pensée et agissent en fonction de trois visions du monde c’est-à-dire soit « avec » soit « dans » soit « par » la technique. Si pour l’auteur, le réel se structure selon une logique techno-communicationnelle tripartite, nous nous sommes demandées, au regard des données empiriques que nous avions obtenues, s’il n’existait pas une autre et en l’occurrence quatrième catégorie cognitive. Le présent article a pour visée de restituer par jeu de réflexivité les différentes étapes qui nous ont conduites à construire une quatrième catégorie métaphorique de la communication. Nous verrons comment L. Sfez a accueilli notre initiative et l’intérêt d’une telle découverte lorsque nous explorons des objets d’étude en lien notamment avec les TIC.

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Construction d’une quatrième métaphore de la communication

          Il est d’usage qu’un doctorant prenne en compte, dans son activité de recherche, le système théorique mis au jour par son directeur de thèse durant sa carrière. Le choix du directeur présente à cet égard un enjeu stratégique et épistémologique important du fait de l’influence qu’il exerce par ses directives, sur le travail de l’étudiant qu’il encadre. Pour notre part, nous avions bien conscience de cet état de fait. Il allait en effet de soi au moment où nous commencions notre thèse[1] que l’outillage scientifique édifié par L. Sfez allait nous servir de support de réflexion pour mener à bien notre recherche.

Nous avons entrepris dans cet état d’esprit, l’analyse de notre corpus d’entretiens menés auprès de conseillers politiques en charge de développer des TIC au niveau étatique et local[2]. La typologie que nous avons dressée renvoyait aux trois visions du monde élaborées par L. Sfez dans l’un de ses ouvrage phares « Critique de la Communication » associées aux prépositions suivantes : « avec », « dans » et « par » la technique. Nous avions classé les acteurs interviewés en trois groupes distincts que nous avions qualifiés de la manière suivante : les « instrumentalistes », les « modernistes » et les « déterministes ». Le premier groupe d’acteurs rassemblait des individus pour lesquels les technologies numériques étaient perçues comme un moyen de réaliser des objectifs. C’est « avec » ces outils de communication que les protagonistes envisageaient d’atteindre des valeurs qu’ils s’étaient eux-mêmes fixés. Le second groupe recouvrait des acteurs qui appréhendaient la technologie sous un angle systémique, celle-ci étant associée à un environnement innovant « dans » lequel s’inscrivait l’institution et le territoire auxquels ils appartenaient. Quant au dernier, il désignait des individus qui considéraient la technologie comme un moteur de changement social. « Par » son truchement, les acteurs s’attelaient à transformer et à améliorer le fonctionnement de l’entité institutionnelle et territoriale pour laquelle ils travaillaient. Les TIC leur permettraient de surmonter les crises auxquelles ils étaient confrontés. Force était ainsi d’observer qu’il existait une répartition tripartite des discours de légitimation à l’égard des actions technologiques que les pouvoirs publics mettaient en oeuvre sur le territoire français.

Toutefois nous devions reconnaître que si ce prisme catégoriel de lecture du réel nous permettait de structurer et de clarifier le champ idéologique du discours politique produit à l’égard des TIC, il ne nous donnait pas la possibilité de saisir de manière conceptuelle le positionnement critique qu’adoptait une partie des acteurs à leurs égards. Face aux difficultés qu’ils rencontraient dans leurs projets, certains d’entre eux nous faisaient en effet part de leur réticence et de leur scepticisme à l’idée d’engager leur institution dans des projets innovants de développement d’infrastructures ou/et de services numériques. Nous étions alors face au questionnement suivant : était-il possible de « traduire » en des termes métaphoriques cet esprit de résistance ? Cette interrogation nous amena à formuler une hypothèse. De manière inductive, nous supposions qu’il existait bien une quatrième vision du monde qui pouvait contribuer à compléter le système d’analyse de notre directeur de thèse. Nous décidâmes alors d’en rechercher la trame sans lui faire état de notre projet d’intention. Nous préférions en effet avancer dans notre réflexion avant de le contacter pour en discuter avec lui.

            Nous constations que les métaphores en question appartenaient au même socle théorique. Chacune d’elles était en effet associée à un modèle de communication en lien direct avec une vision techniciste de la réalité. Dans un premier temps, il nous paraissait donc pertinent d’envisager une catégorie qui saisirait un rapport au réel a contrario débarrassé de tout filtre techno-logique. La préposition « sans » rendait selon nous bien compte de ce cheminement. En revanche, si la découverte de cette quatrième préposition nous confortait dans notre hypothèse de départ, elle n’en n’était pas moins suffisante pour prouver l’existence d’une quatrième vision du monde. Il nous restait une étape fondamentale : démontrer la légitimité et la pertinence heuristiques de notre concept saisissant une réalité « sans » technologie. Par souci de cohérence et de pertinence scientifiques, il nous semblait primordial de prendre en compte le cadre référentiel à partir duquel L. Sfez avait élaboré ses propres métaphores. En revenant sur sa démarche, nous constations que les trois modèles de la communication participaient à l’activation métaphorique de deux grands types d’organisation du réel, c’est-à-dire linéaire ou systémique. De prime abord, il nous paraissait difficile de trouver des limites ou des points à contester dans ce que L. Sfez présentait pour édifier son système de catégorisation du monde. Sa démonstration nous paraissait d’autant plus solide qu’elle reposait sur les travaux de nombreux et illustres théoriciens tels que R. Descartes, G. W. Leibniz, B. Siponza, G. Simondon, H. Atlan, K. Gödel, C. Shannon et W. Weaver, N. Wiener, Richard Boyd issus de surcroît, de sciences et de disciplines diverses : Physique et Biologie, Philosophie, Psychologie cognitive, Mathématiques, Informatique, Communication…. Un élément détonnant attira malgré tout notre attention. Il se cristallisait dans le rapprochement que l’auteur opérait avec les sciences dures. Le détour par les sciences physiques, informatives et cognitives permettait à L. Sfez, d’établir sous forme de métaphores des règles et principes communs de fonctionnement aux systèmes de communication relevant du monde vivant et non vivant. Nous constations que les références issues de ces sciences appartenaient à la mouvance classique de la pensée moderne. Ce parti pris méthodologique était en fait explicité par l’auteur lui-même comme en témoigne ses propos : « En nous inscrivant uniquement dans la pensée occidentale et dans les théories actuelles, nous pouvons référer ces métaphores à deux conceptions classiques […] représentative […] expressive… » (Sfez, 1992, p. 58). La première métaphore intitulée « Représenter, ou la machine », était principalement fondée sur les travaux de R. Descartes et ceux de C. Shannon et W. Weaver. Le rapport de l’homme à la machine s’appuyait sur une logique d’extériorité et de linéarité. Dans ce cas de figure, l’homme-émetteur agissait « avec » la machine sur le réel-récepteur. La seconde métaphore qui s’appelait quant à elle « Exprimer, ou l’organisme » se situait dans la droite ligne de la philosophie leibnizienne, monadologique et donc réticulaire du monde. Ici l’homme évoluait « dans » un environnement, un système d’organisation technique qui devenait sa nature. Elle renvoyait à ce titre à la cybernétique et au processus d’interactivité existant entre l’émetteur et le récepteur. Quant à la troisième « Confondre ou Frankenstein : le tautisme », elle était associée aux travaux de M. Shelley et J. Baudrillard qui mettaient en perspective les jeux de simulation existant entre un original et son double. L’artefact exprimait pour ainsi dire une relation de confusion entre la cause et l’effet, l’objet et le sujet, l’émetteur et le récepteur.

            Nous prîmes soudainement conscience que L. Sfez n’avait à aucun moment pris en compte les découvertes liées à la physique quantique qui pourtant alimentaient une abondante production scientifique dans le domaine des sciences exactes.  La mécanique quantique attisait d’autant plus notre curiosité qu’elle se situait en rupture avec la tradition classique de la pensée scientifique moderne à laquelle L. Sfez s’adossait pour élaborer son système de catégorisation du réel. La lecture de nombreux articles et ouvrages écrits sur la question tels que ceux de S. Ortoli et de J-P. Pharabod, de Deligeorges, nous convainquîmes de l’utilité d’une telle approche pour solidifier la direction que nous avions envisagée de prendre pour créer notre quatrième vision de la réalité (a)-techno-logique. Les principes de superposition (Serge. Haroche) et d’incertitude (Sylvain Guilbaud) que les chercheurs en quantique avaient mis au point dans leurs recherches, nous permettaient de faire ce « saut » épistémologique en sciences de l’information et de la communication en nous invitant à élargir les modalités conceptuelles de saisissement du réel. L’explication quantique des phénomènes organisationnels nous amenait en effet à saisir simultanément plusieurs états à la fois. L’introduction d’une réflexion d’ordre quantique renouvelait selon nous, par jeu de juxtaposition, ce regard porté à la réalité de manière métaphorique. En nous appuyant sur la fameuse expérience du « Chat de Schrödinger »[3], nous étions en mesure d’illustrer de manière imagée le cheminement de pensée qui consistait à appréhender la réalité selon un principe de superposition des états[4]. Cette expérience nous permettait de conceptualiser une approche symbolique du réel qui rendait compte d’une nature organisationnelle complexe à l’extrême. Il était en ce sens possible d’envisager l’être et le non-être en même temps par le biais d’une perception simultanéité des contraires. Cela était possible en théorie et non en pratique c’est-à-dire tant que l’observateur n’avait pas mesuré et donc interféré sur le résultat. La démarche du quanticien est relativiste puisque le résultat obtenu dépend de l’outil utilisé et de la situation dans laquelle se déroule l’expérience ; en d’autres termes l’état de superposition cesse au moment où l’observateur effectue son observation (S. Ortoli, J-P. Pharabod). Au regard de cette grille quantique de perception, les phénomènes que nous devions observer et examiner pouvaient être conceptualisés en convoquantles trois prépositions simultanément« avec », « dans » et « par » la techno-logie ou alors ni « avec » ni « dans » ni « par » elle. Dans le premier cas, l’acteur se positionnait de manière idéologique soit « avec », soit « dans », soit « par » la technique alors que dans le second il en était incapable. De manière générale nous réalisions que les postures d’acteurs que nous avions mises en évidence avaient été saisies dans un contexte particulier. Il était fort probable qu’il aurait pu en être autrement si nous avions effectué les entretiens à un autre moment dans un contexte différent. Dans cet ordre de logique, nous prîmes conscience que l’absence de conviction techno-logique conceptualisée par la préposition « sans » était en fait fortement intriquée aux autres prépositions et représentations technologiques. L’absence de vision technologique concernait un projet en particulier, elle ne concernait pas les autres projets que les conseillers avaient par ailleurs mis en place. Il paraissait alors évident que la réserve ou la critique émise par l’acteur que nous interrogions était liée à un contexte et à des circonstances particulières (manque de visibilité sur la législation, sur le budget…) et non à une posture de fond puisque leur opinion changeait quand il s’agissait d’autres projets technologiques. Nous étions bien face à un problème de biais méthodologique propre aux conditions même de déroulement des entretiens qui rendait partiaux et partiels nos résultats. L’ensemble de ce cheminement venait valider le cadre général posé par L. Sfez dans son livre « Technique et idéologie » au sein duquel il affirmait que la technique agissait en toile de fond conditionnant ainsi nos modes de perception du réel. L’élaboration d’une quatrième vision du monde coulait pour nous de source. Dans la même veine que les trois autres, nous l’intitulions « Imprévoir ou l’auto-organisation : le saut quantique ». L’homme s’acheminait sur la voie de l’auto-organisation en intégrant à son champ de représentation toutes les combinaisons possibles du processus d’appréhension de la réalité technique. Par la préposition « sans », nous mettions en évidence l’intrication des divers états de réalités technologiques. L’absence de conviction s’appuyait sur des considérations technologiques dont les acteurs ne pouvaient s’abstraire dans leurs discours. Les acteurs émettaient des réserves ou des critiques à l’égard de projet technologique tout en utilisant paradoxalement un vocable doté d’une visée technologique. En affirmant par exemple qu’ils ne souhaitaient pas financer des entreprises spécialisées dans la production de téléphonie mobile par crainte que ces entreprises innovantes fassent faillite et licencient des salariés si l’offre était insuffisante, les acteurs « critiques » avalisaient en filigrane le système argumentaire des « instrumentalistes » qui consistait à associer le secteur de la téléphonie mobile aux enjeux économique du marché de l’emploi.

Par ailleurs, cette quatrième catégorie nous permettait de substantifier l’incertitude du résultat qui restait tributaire des conditions d’expérimentation. En d’autres termes, le « saut » quantique traduisait de manière métaphorique l’opération qui consistait à changer d’outil de mesure et d’envisager ainsi le réel dans d’autres possibilités d’existence que ceux imaginés dans un cadre de raisonnement et de modernité scientifique dit classique qui amène le chercheur à poser une vérité en Vérité.

Accueil et portée épistémologique de notre orientation scientifique

 

Malheureusement L. Sfez désapprouva ce travail de recherche. Sans nous donner d’explication, il nous pria de ne pas l’intégrer à notre thèse et de supprimer à notre rapport tout passage le mentionnant, condition sine qua non à la poursuite sous sa tutelle de notre doctorat. Il nous demanda même de mettre par écrit les modalités de cet accord. Bien que frustrée, nous exécutâmes ses injonctions docilement. Notre décision était prise avec pragmatisme. Pour reprendre la terminologie de M. Weber, nous agissions selon une motivation rationnelle en finalité (Weber, 1971). Notre thèse était bien avancée, le changement de directeur est aussi déstabilisant pour l’étudiant que mal perçu par le milieu universitaire. C’est après l’obtention de notre doctorat que nous eûmes l’opportunité de valoriser notre travail lors de colloques et de séminaires de recherche organisés en sciences de l’information et de la communication lequel fut bien accueilli.

            Si l’intérêt de notre démarche réside dans le fait qu’elle s’attèle à compléter le cadre théorique de L. Sfez, elle nous permet plus largement de nous questionner sur l’évolution de nos sociétés de plus en plus marquée par la disparité des critères de vérités (J-F. Lyotard, 1979). Bon nombre de chercheurs en sciences humaines s’intéresse aux limites épistémologiques auxquelles le chercheur est confronté pour étudier le réel. La mobilisation par le chercheur d’outils de mesure pour étudier la réalité l’amène à s’interroger sur les conditions de production et d’utilisation de sa propre connaissance scientifique. P. Bourdieu dans son livre « le sens pratique » expose les difficultés pour le scientifique d’arriver à une connaissance objective de la réalité pratique et explique qu’il est toujours question de « point de vue ». Dans cette direction, B. Latour s’intéresse aux expériences menées au sein de plusieurs laboratoires de biologie en montrant que les résultats obtenus en sciences exactes sont les produits de protocoles sociaux et d’enjeux de pouvoirs entre les laboratoires de recherche. Le recours à la métaphore quantique nous permet d’aborder de manière symbolique les questions relatives à ce que P. Bourdieu appelle un « relativisme élémentaire » existant entre le scientifique et son objet d’étude.  La logique quantique nous invite à admettre avec radicalité que les résultats obtenus par le chercheur ne sont pas représentatifs de « la » réalité ; ils correspondent à « une » réalité qui dépend du moment et de la situation dans laquelle le scientifique ou l’expert opère pour la saisir. Nous pourrions même faire l’hypothèse que le passage à l’observation entraîne l’élimination de mécanismes qui pourtant continuent d’agir à l’insu du scientifique. Nous dirions même plus. Cette dérobade renvoie à une forme de complexification des logiques d’acteurs du fait qu’elles peuvent se superposer malgré leur apparente incompatibilité et opérer sans que nous puissions forcément le pressentir au moment du déroulement de la mesure en l’occurrence de la passation des entretiens sur notre terrain. Le passage à l’observation dans les modalités interactives (liées aux conditions de production de l’entretien entre l’intervieweur et l’interviewé) que nous avons décrites plus haut fige de facto notre rapport au réel. Les acteurs peuvent dire à l’observateur qu’ils agissent en vertu de tels ou tels principes, cela ne veut pas forcément dire qu’il en est réellement ainsi. Ils peuvent agir autrement en fonction de paramètres qu’ils n’ont pas pu ou voulu évoquer, phénomène que les conditions dans lesquelles se déroulait l’entretien ne permettaient pas d’expliciter. Le réel se construit à travers des mécanismes que le scientifique exclut lorsqu’il passe à l’observation ne pouvant ainsi jamais totalement dévoiler par ce biais la réalité. Toutefois, la prise de conscience de cette indétermination permet au chercheur d’élargir son champ d’orientation et se positionner en connaissance de cause en maîtrisant mieux l’immaîtrisable. Le recours à différents outils de mesure mobilisés par un ou plusieurs chercheurs constitue en ce sens un matériau précieux de gestion des marges d’incertitudes pour tout type d’organisation. La création de la quatrième métaphore sfezienne nous permet de pointer ce jeu de complexité heuristique. Le cheminement quantique nous conduit à reconnaître de manière symbolique l’existence d’une réalité qui existe et qui ne peut être déterminée du fait justement que nous la mesurons pour la capturer. Pour saisir ce réel, il est important d’intégrer de manière optimale tout l’indéterminé de la situation présente à observer. Les systèmes auto-référentiels un tant soit peu complexes ne se réfèrent à eux-mêmes qu’à travers la médiation d’une description la plus large possible c’est-à-dire sans condition préalable. Si le chercheur doit tenir compte des possibilités du réel organisationnel qui lui échappe lorsqu’il passe à l’observation, il faut également reconnaître que la réalité se construit selon des modalités symboliques dont le degré de contradiction est paroxysmique puisque le négatif peut potentiellement s’avérait positif, le saut quantique n’étant jamais loin… Nous envisageons de mener des recherches dans le domaine de l’intelligence quantique et d’explorer à ce titre ce que peut nous offrir un raisonnement qui devra tenir compte d’une réalité construite sous forme de superposition et de dévoilement techno-logiques.

L’élaboration d’une quatrième catégorie de perception du réel a été une entreprise particulièrement épineuse. Il s’avérait hasardeux de proposer une autre façon de penser au père fondateur de la théorie que nous souhaitions réactualiser, faire évoluer et ceci pour plusieurs raisons. Non seulement nous n’avions pas à l’époque la légitimité statutaire de le faire en tant que doctorante et apprenti-chercheure mais il paraissait insensé d’adopter cette démarche épistémologique alors que le théoricien en question était notre directeur de thèse doté d’une forte reconnaissance et notoriété académiques. Par cet état de fait, nous étions en fait vouées à participer aux logiques d’idéalisation des pères fondateurs de la discipline (Granjon, George, 2014). Revisiter les approches fondatrices en montrant la nécessité de leur re-actualisation ne suffit pas. Encore faut-il, pour être entendu, le faire dans un climat institutionnel propice au principe de discussion et d’évolution des paradigmes aussi puissants et reconnus soient-ils.

 

Bibliographie

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– Deligorges, S. dir. (1984). Le monde quantique. Paris : Seuil.

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– Granjon Fabien, « La critique est-elle soluble dans les sciences de l’information et de la communication ? », in George Éric, Granjon Fabien dir., Critique, sciences sociales et communication, Mare & Martin, Paris, 2014, p. 291-355.

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– Latour Bruno, Woolgar Steve, La vie de laboratoire. La production de faits scientifiques, La Découverte, Paris, 2006.

– Mattelart Armand, « Entretien », Médiation Et Information, n° 5, 1996.

– Lyotard J-F. (1979). La condition postmoderne. Paris : Les Editions de Minuit.

– Ortoli, S, Pharabod, J-P. (2004). Le cantique des quantiques. Paris : la Découverte.

– Sfez, L. (1992). Critique de la communication. Paris : Seuil.

– Sfez, L. (2002). Technique et idéologie. Un enjeu de pouvoir. Paris : Seuil.

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– Weber, Max (1971). Économie et société. Tome 1. Paris : Plon.

– Wiener, N. (1965). Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine. MIT Press.

Tiphaine Zetlaoui est maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication à l’université catholique de Lille au sein du Département Médias, Culture et Communication (MCC). Docteure en sciences politiques de l’université Panthéon-Sorbonne à Paris 1, elle centre ses recherches sur l’articulation entre les pouvoirs publics et les technologies numériques. Elle a assumé la responsabilité éditoriale de numéros et de dossiers, a publié un ouvrage et de nombreux articles sur la société numérique. Elle est depuis 2017 co-responsable éditoriale de la revue universitaire Culture Com’.


[1] Le sujet de notre thèse concernait les politiques techno-réticulaires menées en France depuis le XIXème siècle. Il s’agissait plus précisément de mettre l’accent sur la manière dont les pouvoirs publics envisageaient le développement des réseaux de télécommunication en nous intéressant aux représentations et aux mesures qu’il déployait pour favoriser la circulation des informations dans tous les secteurs d’activité de la société.

[2] Notre corpus d’entretiens rassemblait une soixantaine d’entretiens menés auprès de conseillers ministériels et territoriaux en charge de développer les TIC.

[3] Enfermé dans une boite où se trouve une fiole de poison susceptible à tout moment d’être brisé, le chat est considéré, tant que l’observateur n’a pas ouvert la boite, dans un état où il est à la fois mort et vivant.

[4] Selon les règles de la quantique, l’état d’un chat devrait être dans un état superposé mort/vivant. Si cet état n’est jamais observé, la théorie quantique tient compte de cette non-obsevabilité des états superposés (théorie de la décohérence).