N°1 | Quel rapport avec la morale ? Plagiarisme, réécriture des modèles et valeurs littéraires
Par Kevin Perromat
Résumé :
L’intérêt porté au plagiat et aux poétiques “plagiaristes” traduirait aux dires de certains une véritable “révolution littéraire” dont nous n’assisterions qu’aux premières étapes. Les nouvelles pratiques mettraient en cause les anciennes valeurs littéraires, prédominantes jusqu’à la fin du XIXe siècle : auteur, ouvrage, cohérence, originalité, Propriété Intellectuelle, etc. L’effet combiné de la surabondance de matériaux littéraires et des technologies permettant la réécriture inépuisable de ces matériaux forcerait une redéfinition démocratique des objets littéraires et des modes de “consommation” de ces objets. Par conséquent, nous n’assisterions pas tant à des innovations technologiques qu’à une actualisation des valeurs littéraires en partie liée à ces innovations, et comprenant une transformation (et une dénonciation) du lieu politique par excellence : la fonction auteur. Plus radicalement, d’autres critiques suggèrent une annulation par obsolescence des valeurs littéraires elles-mêmes, déclinaison frauduleuse de valeurs morales et politiques qui ne voudraient pas dire leur nom, dans un contexte où règneraient l’“Écriture non créative” (K. Goldsmith) et les “Génies non originaux” (M. Perloff) ; où les lecteurs et les auteurs, les machines et les humains, les textes, les fragments, les citations, les images, les clips, les langages de programmation et les étiquettes se confondraient dans un World Wide Text, un flux interminable et éphémère, copié-collé, manipulé, partagé et retwitté sans fin. Une écriture sans limites, où les auteurs seraient inévitablement éphémères et interchangeables : une littérature, enfin, “faite par tous et pour tous”.
Abstract :
Some critics and writers maintain that the present interest in plagiarism and plagiarist poetics may evidence the first stages of the forthcoming literary revolution. New writing practices would be, at last, ultimately discrediting traditional literary values, which were dominant until the end of the 19th century: work, coherence, originality, authorship, etc. The democratic redefinition of literary objects and of their uses results from the combined effect of an overwhelming excess of written materials and of technologies allowing endless rewriting of them. Accordingly, we would not merely be the witnesses of technological innovations but also of a renewal of literary values, partly related to those innovations. This renewal includes a transformation (and criticism) of the political location par excellence: author-function. More radically, other critics suggest that those literary values have become obsolescent, fraudulent ersatzes of hidden political and moral values. This context is marked by “uncreative writing” (K. Goldsmith) and “unoriginal geniuses” (M. Perloff), in which readers and authors, humans and machines, texts, fragments, quotations, images, clips, software and tags get entwined into a World Wide Text, an endless, ephemeral flux–endlessly copied, pasted, mixed, shared and retweeted. A limitless writing, by means of which authors become ephemeral and interchangeable: a literature, at last, “made for all and by all.”