N°1 | Pourquoi l’Amérique nous espionne ? Olivier CHOPIN

Éd. Hikari, coll. Enquête d’ailleurs, 2014.

 

Pourquoi l’Amérique nous espionne ? C’est certainement parce que cette question taraude, depuis l’affaire Snowden, un certain nombre de citoyens français qu’Olivier Chopin en a fait l’objet et l’intitulé de son essai. Il faut dire que la collection qu’il dirige, « Enquête d’ailleurs », invite les auteurs à s’intéresser à un sujet de société contemporaine et à formuler un titre sous forme de question. Les auteurs s’appliquent alors à répondre à leur interrogation par le biais de chapitres dont chaque intitulé est introduit par un percutant « Parce que ».

L’auteur, spécialiste en France du renseignement, mène dans le va-et-vient de ce jeu explicite de question-réponses une réflexion plutôt poussée et pour le moins dense sur la manière dont les Etats-Unis mettent en œuvre actuellement et par le passé des moyens à la fois organisationnels, humains, logistiques et technologiques pour espionner les faits et gestes électroniques de leur population aussi bien que celle de tous les États du Globe.

Olivier Chopin présente un ensemble d’actions politico-stratégiques des plus complexes. L’étendue des services et des programmes de renseignement est telle que l’on se demande si les responsables de ce dispositif ont une réelle visibilité sur leurs agissements, sans parler du passage au crible des masses de données récoltées quotidiennement sur les réseaux numériques internationaux. L’auteur rend à cet égard très bien compte et ce, malgré l’analyse sommaire que le format de cette collection exige, du faramineux imbroglio méandreux dans lequel les services de renseignements baignent depuis l’origine de la cryptographie, technique notamment apparue pendant la Seconde Guerre mondiale avec le programme de déchiffrage des communications allemandes qui circulaient de manière codée par le biais de la machine Enigma.

Pour donner des éléments de réponse à la question qu’il pose, Olivier Chopin présente les grandes lignes de l’histoire de l’espionnage technologique américain. En revenant sur les périodes marquées par les guerres Mondiale et Froide, l’auteur nous renseigne ici sur la manière dont le secret s’est adossé aux feintes et nous donne quelques pistes de réflexion sur les ruses et les stratagèmes employés par les services secrets américains pour combattre l’adversaire. Cet historique permet de faire prendre conscience au lecteur notamment néophyte à quel point les contextes de guerres, surtout extrêmes, légitiment l’existence de pratiques d’espionnage et de contre-espionnage. Les populations ont en ce sens à travers les décennies intériorisé et accepté le fait que les autorités qui les représentaient agissaient dans la plus totale opacité au nom d’une Raison d’Etat qui était censée défendre leurs intérêts. Comme l’auteur le souligne dans le titre du chapitre 2 « Parce que jusqu’à maintenant, tout le monde s’en fichait. » (p. 27) et rajouterons-nous « trouvait cela normal. » Olivier Chopin explique ainsi que malgré le fait que certains programmes de surveillance aient été assumés publiquement par les États et que l’existence de services comme la CIA soit officielle, l’indifférence des médias et des citoyens américains voire étrangers était telle qu’elle entravait la possibilité à toute forme de polémique d’apparaître au sein des espaces publics des Etats-Nations. La situation aurait donc changé depuis quelques années car si les guerres et les combats idéologiques mondiaux n’ont pas disparu, notamment avec la constitution d’un Etat radical islamiste, la légitimité des actes d’espionnage ne coule aujourd’hui plus de source. Et c’est donc à juste titre que l’auteur s’interroge sur cet état de fait : « la bonne question est de se demander pourquoi, cette fois-ci, le même problème fait scandale et ne semble pas près de tomber dans l’indifférence ? » (p. 33). Il est dommage que l’auteur réponde trop implicitement à son interrogation alors qu’elle constitue un matériau de réflexion indéniablement intéressant et fécond d’un point de vue éthique et sociologique.

En filigrane, l’analyse d’Olivier Chopin nous invite à réfléchir sur la manière dont des scandales sont médiatisés et impactent l’opinion publique. Sans pour autant dénigrer la démarche et les révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden, l’auteur nous renseigne sur ce que la tournure médiatique de cette affaire n’a en fait pas dévoilé au niveau des intentions et des motivations qui poussent les Américains à s’introduire dans nos vies privées. L’auteur nous explique que si les Américains semblent avoir été trop loin dans leurs agissements après les attentats de 2001 (loi « Patriot Act », NSA…), ils ne sont pas les seuls à opérer dans ce sens. Non seulement chaque pays épie l’autre – la Chine, la Russie et l’Inde ne sont en ce sens pas à négliger – mais la France elle-même a de très bons services de renseignements nous explique l’auteur, à la différence que ses moyens sont plus modestes. Ainsi, l’Etat français aurait tout intérêt, malgré les risques d’intrusion que cela suppose, à ce que l’État fédéral américain investisse dans l’espionnage étant donné que les services de renseignement français dépendent, de la qualité des renseignements américains pour mener à bien leur mission, notamment de lutte contre le terrorisme. Les propos de l’auteur ont le mérite de servir une vision nettement moins simplificatrice que celle adoptée par la plupart des médias français qui ont tendance à diaboliser l’Amérique. L’ouvrage rend ainsi compte par ce jeu de question-réponses d’une réalité fort ambivalente. De toute évidence, cet essai a été écrit avec une certaine liberté de ton et de pensée malgré le contraignant cadre qu’exige le format du « Pourquoi-Parce que » entravant la possibilité de construire tout à fait librement son raisonnement.

Par Tiphaine Zetlaoui
(Université Catholique de Lille)