Les politiques numériques : perspectives théorique et empirique du discours utopique et idéologique.

 

Par Tiphaine Zetlaoui

Résumé

Notre contribution questionne le rôle que les pouvoirs publics jouent dans l’avènement et le développement de la société de l’information et de la communication (SIC) depuis deux siècles en identifiant les discours utopique et idéologique qui sous-tendent la mise en œuvre en France des politiques publiques relevant du secteur des télécommunications (infrastructures et services). Il s’agit d’étudier les soubassements symboliques du politique à travers les valeurs techno-scientifiques que les élus promeuvent pour tenter de colmater et endiguer les crises successives que les sociétés occidentales traversent.

Abstract

This article examines the role played by the French national authorities in the development of new forms of communication and information during the last two centuries and identifies the utopian and ideological rhetoric which has underpinned public policy in the area of telecommunications (both infrastructures and services). It analyses the symbolic foundations of French politics via the scientific and technological values promoted by elected representatives of the people in an attempt to cope with and direct the succession of crises which have faced Western societies.

Mots clés : politiques numériques, utopies, réseaux, discours,

Notre contribution questionne le rôle que les pouvoirs publics jouent dans l’avènement et le développement de la société de l’information et de la communication (SIC) depuis deux siècles. Nous identifions les enjeux idéologiques qui sous-tendent la mise en œuvre en France des politiques publiques relevant du secteur des télécommunications (infrastructures et services) à l’aune des grands systèmes d’utopie par le biais desquels les gouvernants légitiment leurs actions et prises de décision. En prenant appui sur les définitions que Mannheim élabore à l’égard des notions d’utopie et d’idéologie[1], nous étudions la manière dont les politiques techno-scientifiques sont mises en œuvre depuis leur origine. Pour mener à bien cette trame de recherche, nous adoptons deux types d’approche que nous articulons : théorique et empirique. L’analyse théorique consiste à déterminer les matrices scientifiques des utopies produites sur la SIC. Nous identifions les grandes étapes fondatrices de l’histoire doctrinale de cette société en mobilisant les travaux de Pierre Musso (Musso, 1998) et de Philippe Breton (Breton, 1992) réalisés à ce sujet dont nous dégageons les enjeux et limites conceptuels. Nous montrons ainsi les écueils auxquels nous avons été confrontés en lisant leurs thèses opposées. Nous exposons la manière dont nous les avons surmontés en proposant une troisième voie d’analyse.

La démarche empirique nous permet de mettre au jour la façon dont les pouvoirs publics s’appuient aujourd’hui sur un récit utopique pour maintenir et renforcer les socles idéologiques des régimes qu’ils représentent : républicain et démocratique. Nous présentons les principaux résultats obtenus à partir d’une analyse lexico-sémantique de discours politiques portant sur la numérisation de la société. Notre corpus rassemble des documents principalement issus de rapports, d’allocutions, d’entretiens semi-directifs aussi bien étatiques que territoriaux[2]. Nous examinons les cadres de pensée dans lesquels ces discours s’inscrivent. Nous interrogeons en dernier lieu la portée et l’évolution de ces cadres alors que la crise que traverse le politique s’avère structurelle.

À la recherche des origines doctrinales de la SIC

 

Musso versus Breton

De nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales (Musso, Lafontaine, Breton, Mattelart, Dacheux, Castells…) s’intéressent à la manière dont la SIC s’est construite et instaurée au fil des siècles sous l’expansion et explosion des technologies du même nom : les technologies de l’information et de la communication (TIC). Les recherches pionnières en France, de Pierre Musso et de Philippe Breton[3] retiennent particulièrement notre attention. En réalisant un travail de généalogie sur les doctrines relatives à la société de la communication, ces deux chercheurs identifient les enjeux symbolique et institutionnel qui sous-tendent son émergence et son développement. Force est d’observer une divergence d’analyse. Pour déterminer l’origine conceptuelle de la SIC, Pierre Musso se réfère et étudie l’œuvre de Claude-Henri Rouvroy de Saint-Simon, philosophe et économiste qui donne naissance au mouvement des saint-simoniens dont l’influence politique au XIXème siècle est notable. Pour saisir l’origine, Philippe Breton quant à lui se base sur l’œuvre du mathématicien Norbert Wiener, fondateur de la cybernétique, science des systèmes[4] dont le rayonnement est extrêmement fort au sein des sciences exactes et sociales durant la seconde moitié du XXème siècle[5].

Pour Musso, l’œuvre de Saint-Simon est fondatrice d’une nouvelle ère car elle représente un moment de césure sans précédent. Cette césure s’opère à travers l’élaboration d’un nouveau paradigme lié au saisissement réticulaire d’un nouvel ordre industriel de société et de gouvernance par une apologie d’une « administration des choses ». Ce changement de représentation dont fait preuve Saint-Simon ne cesse par la suite et au gré des époques selon Musso de se répéter et de se dégrader aussi bien dans les milieux scientifiques qu’institutionnels. Pour Breton, le premier point de rupture s’opère avec Wiener dont les travaux seraient à l’origine de l’utopie moderne de la communication. En d’autres termes Breton observe une césure là où Musso ne perçoit qu’un processus d’effritement amorcé selon lui par certains conseillers de Napoléon 3[6].

La lecture de ces deux thèses invite les chercheurs à trancher en faveur de l’une ou de l’autre. Pour notre part, nous avons œuvré à les concilier. En effet, la position de Wiener vient selon nous renouveler celle de Saint-Simon dans la mesure où elle induit un changement de représentation au niveau moral sans pour autant s’abstraire du passé. Nous observons pour les deux systèmes de pensée qu’étudient Musso et Breton, des points de jonction qui nous amènent à la reconnaissance de plusieurs origines et d’une filiation entre celles-ci.

Pour le sociologue Philippe Breton, le projet que défend Norbert Wiener dans ses travaux sur la cybernétique relève d’une vision utopique, fantasmée de la communication. Ce projet est censé dans son application mettre définitivement fin aux barbaries et au règne des grandes idéologies qui les ont occasionnées. La cybernétisation du monde notamment induite par le développement de réseaux de communication à distance permettrait aux sociétés d’atteindre un état idéal d’équilibre qualifié d’homéostasique. Pour reprendre les formules de Breton, les sociétés cybernétisées se construiraient à travers des valeurs « vides » et seraient composées d’individus « sans intérieur » à l’instar des sociétés dans lesquelles nous vivons aujourd’hui qualifiées de communicationnelles et de transparentes. La posture de Musso est à cet égard très critique considérant que loin d’être utopique, la cybernétique relève plutôt d’une vision qui, d’un point de vue conceptuel, est faible. Pour construire sa dénonciation, le philosophe emploie le terme de rétiologie désignant par là le processus selon lequel la réalité est saisie sous l’angle de l’imagerie, la figure du réseau étant fétichisée[7].

Deux thèses conciliables

Le concept de « techno-réseau » que nous élaborons nous permet de rendre compte de la rupture qu’opère Wiener à travers la réflexion sociétale qu’il déploie dans son ouvrage « cybernétique et société ». Pour expliquer et louer la transformation des sociétés à l’échelle planétaire, le mathématicien américain Wiener se focalise sur la question du déploiement des réseaux de communication sous un aspect immatériel. La particularité de son approche réside dans le fait qu’il associe ces cyber-réseaux à un ensemble de caractéristiques par le biais desquelles il appréhende d’un point de vue moral la structure organisationnelle de la société. En devenant cybernétique et rétroactive la société change de repères spatio-temporels et pour ainsi dire de valeurs. Le cybernéticien fait l’apologie d’une société dont les propriétés réticulaires deviennent un but moral en soi. Ce qui n’est pas le cas pour Saint-Simon et ses successeurs, les réseaux étant perçus comme un moyen qui permettrait d’atteindre un ordre pacifique de société ; le principe de fraternité est particulièrement cher et louable à leurs yeux. Pour Saint-Simon et ses héritiers, la finalité morale ne se confond pas aux qualités présumées du réseau, elle existe indépendamment de celles-ci. Chez les cybernéticiens, les réseaux sont associés à des caractéristiques promues au rang de principes et de valeurs vers lesquels les hommes doivent tendre et qu’ils doivent idéalement atteindre. L’homéostasie est un état d’équilibre à rechercher alors que l’entropie a contrario doit être combattue. La société idéale est celle qui s’édifie de manière cybernétique sous-entendu de manière informationnelle et communicationnelle au sens le plus technologique du terme ; les modes opératoires des dispositifs sont mises au service de la morale collective et plus que cela, ils se confondent à elle.

L’utopie de Wiener s’est, à bien des égards, matérialisée avec l’avènement d’une société numérique dans laquelle les composantes des réseaux informatiques et digitaux (interaction, transparence, écosystème, intelligence collective…) sont devenues des éléments phares de son édifice moral, légitimant par-là, la nécessité irrémédiable d’encourager leur essor.  La politique de développement des « techno-réseaux » relève d’un double processus : celui de numériser la société et de légitimer cette numérisation en convoquant un système de normes et de principes issu des techno-logies elles-mêmes. Ici le logos est intrinsèquement lié aux qualités artificielles du réseau considérées comme justes et vertueuses. L’enjeu de notre démarche empirique consiste à montrer sous quelles formes et jusqu’à quel point la vision cybernétique accompagne les gouvernants dans leurs actions de numérisation de la société. Nous analysons la manière dont ils établissent leur système idéologique de légitimité. Ce qui nous amène à mettre au jour le processus par lequel la pensée critique est évincée.

Les cadres de pensée des politiques numériques

Méthodologie sémio-discursive

Notre perspective empirique s’appuie sur une enquête de terrain menée sur plusieurs années auprès d’une quarantaine de conseillers en charge du développement des TIC travaillant au sein des institutions étatiques et locales et sur une étude qualitative lexico-sémantique de ces mêmes entretiens ainsi que d’une vingtaine d’allocutions politiques et de plus d’une cinquantaine de rapports étatiques (gouvernementaux, parlementaires) publiés depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui sur les questions relatives à l’informatique, aux TIC et à  l’intelligence artificielle[8]. Nous dégageons la structure argumentative par laquelle les élites politique et technocratique opèrent, prennent des décisions et légitiment leurs actions technologiques. Nous analysons les énoncés (termes, formules et arguments employés) au regard de la façon dont ils sont dialectiquement structurés[9]. Les entretiens menés auprès des conseillers en TIC conjugués à l’analyse sémantique des allocutions et rapports nous permettent ainsi de circonscrire les formes de pensée idéologiques[10] qui se jouent en termes de politiques numériques.

II.2. Enjeux et limites des postures idéologiques

L’analyse sémio-discursive de notre corpus nous amène à considérer l’existence, en référence aux idéaux-types élaborés par Weber[11], de deux types de posture : rationnelle en valeur et rationnelle en finalité. Concernant la première, l’esprit de conviction apparaît sur le plan techno-logique d’une part et politique d’autre part. La technologie est qualifiée de révolutionnaire, propice au progrès sociétal elle est associée à des valeurs de transparence, d’interactivité et de modernité. La perspective techno-déterministe qui consiste à faire du développement des réseaux numériques une priorité et un moteur positif de changement social se retrouve de manière prédominante dans les discours, les entretiens et les rapports institutionnels. La logique de conviction politique transparait quant à elle au niveau de la nature des valeurs mises en avant pour développer les TIC en étant associées à celles que les partis politiques gauche/droite défendent traditionnellement. Des discussions se déroulent régulièrement selon une motivation partisane menant à l’affrontement politique. Des confrontations ont ainsi lieu entre collectivités territoriales au sujet de la couverture territoriale en haut débit et du choix du montage juridique. Et ceci même lorsque l’option mixte choisie (société d’économie mixte, délégation de service public, marché de services), basée sur une alliance entre partenaires public et privé, est censée mettre fin aux clivages[12]. Malgré les tentatives faites par les pouvoirs publics pour dépolitiser les débats sur la technologie en créant notamment des autorités de régulation indépendantes, les enjeux de pouvoir idéologiques demeurent et prouvent que l’on est loin du modèle apolitique d’une société (techno)-réticulaire que prônent Saint-Simon et a fortiori Wiener.

Concernant la posture pragmatique, la technologie est soit instrumentalisée selon une logique de fin/moyen soit appréhendée avec réserve et prudence en vertu d’une logique fonctionnaliste et mécanique. Dans les deux cas, la décision ne relève pas de croyance particulière. Il s’agit au contraire de se servir de la technique pour subvenir à des besoins identifiés (dégorger les services administratifs, retenir les jeunes, les entreprises sur un territoire…) et d’éviter les mésaventures en évitant d’agir sous l’aveuglement d’une décision précipitée sur le plan technologique et politique en répondant tout simplement à la demande des citoyens, entreprises et des pouvoirs décideurs.

Le cadre de pensée se construit à travers une structure d’arguments qui neutralise toute forme de critique de la technologie. Force est d’observer en ce sens, que les sujets sensibles qui sont débattus au sein du parlement tels que ceux relatifs à la dangerosité des jeux vidéo, des antennes mobiles, des applications de gestion sanitaires de type stopcovid sont toujours abordés sous l’angle de leur mise en place et mode d’application. Les discussions entre défenseurs et pourfendeurs des dispositifs portent sur des questions pratiques liées à la nocivité, la sécurité, la fracture sociale… sans interroger le statut ontologique de la technique qui est de fait considérée comme révolutionnaire, salutaire et inéluctable. L’ensemble des arguments et des contre-arguments tenus par les protagonistes lors de ces débats alimentent des schémas de réflexion qui avalisent de facto le statut et la légitimité de la technologie. En d’autres termes, si l’on prouve qu’elle est bonne pour la santé, qu’elle est sécurisée ou qu’elle est accessible à tous, alors il est irrémédiablement normal de la développer. Étant donné qu’elle est porteuse d’espoirs et de promesses, une fois les écueils pratiques surmontés, il va de soi pour les gouvernants que son déploiement constitue un impératif catégorique.

Qui plus est, ce cadre de pensée est doté d’une force discursive centrifuge en institutionnalisant la rhétorique contestataire. Les groupes marginaux pour être entendus dans leurs revendications doivent agir en vertu de protocoles institutionnels qui nécessitent une maîtrise du langage juridico-technique et l’altération de leurs idéaux de départ comme c’est le cas pour l’association la Quadrature du net représentant les mouvances activistes libertariennes du net. Les mouvements qui ne se prêtent pas aux règles du jeu institutionnel et qui ne s’adaptent pas aux moules idéologiques de l’échiquier politique tels les trans/post-humanistes, se voient exclus des débats parlementaires voie non mentionnés dans les rapports d’État[13]. Paradoxalement, bon nombre de leurs arguments se retrouvent dans de nombreux rapports comme ceux sur les Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Technologies Cognitives (NBITC) ou l’Intelligence Artificielle (IA) dans lesquels nous retrouvons une posture techno-enjouée qui a tendance à prédominer[14].

Force est de reconnaître une incapacité des politiques à envisager la construction d’une société numérique débarrassée des affrontements idéologiques. Ceux-ci renvoient à un système de représentation et de verticalité décisionnelle alors que pourtant le changement techno-logique promu et amorcé par les gouvernants porte en son sein l’utopie d’une gouvernance apolitique, horizontale et inclusive.

Pistes conclusives de réflexion

Si les utopies scientifiques saint-simonienne et cybernéticienne participent au renouvellement des manières de penser et d’agir des gouvernants, elles le font seulement partiellement. Les gouvernants s’en inspirent certes mais pour consolider paradoxalement les modèles de société qui pre-existent (régime républicain, démocratie représentative, système de partis politiques) à ces systèmes d’utopie. Mentionnons le fait que les politiques numériques au cœur de la société de l’information et de la communication donnent lieu à des transformations qui reconfigurent l’exercice même du pouvoir notamment politique. Comment alors conceptuellement désigner le fait que les pouvoirs publics sont plus que jamais tributaires d’une nouvelle forme de communication fondée sur l’influence numérique ? La métaphore quantique de la communication que nous nous avons élaborée en ajout à celles que crée Lucien Sfez dans son ouvrage Critique de la communication[15] pourrait rendre compte d’une communication dont la fonction est avant tout d’influencer.

Bibliographie :

Borraz, Olivier, Barthe, Yannick. « Les controverses sociotechniques au prisme du Parlement ». Quaderni, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, n°75, 2011, pp. 63-71.

Breton, Philippe (1992), L’utopie de la communication. Le mythe du village planétaire, Paris, La Découverte.

Castells, Manuel (1998), Société réseaux. L’ère de l’information, Paris, Fayard, 2ème éd. 1996.

Forest, David (2004), Le prophétisme communicationnel. La société de l’information et ses futurs, Paris, Eds. Syllepse, coll. « Matériologiques ».

Dacheux, Éric (2008). « Utopie et Sciences de l’Information et de la Communication ». Communication, Université de Laval, vol 26/2, Online since 09 October 2009, URL http://journals.openedition.org/communication/835;

Dorthe, Gabriel (2019), Malédiction des objets absents. Exploration épistémiques, politiques et écologiques du mouvement transhumaniste par un chercheur embarqué, Faculté des géosciences et de l’environnement de l’université de Lausanne, thèse de doctorat.

Lafontaine, Céline (2004), L’empire cybernétique. Des machines à penser à la penser machine, Paris, Seuil.

Mannheim, Karl, (2006), Idéologie et utopie, Paris, Maison des sciences de l’homme, 1ère éd. 1929.

Marsan, Christine, Daverio, Fabrice (2009), La communication d’influence. Décoder les manipulations et délivrez un message éthique dans une société en mutation, Paris, CFPJ.

Musso, Pierre (1998), Télécommunications et philosophie des réseaux. La postérité paradoxale de Saint-Simon, Paris, Presse Universitaire de France, coll. « La politique éclatée ».

Musso, Pierre (2003), Critique des réseaux, Paris, PUF.

Robert, Pascal (2009), Une théorie sociétale des TIC. Penser les TIC entre approche critique et modélisation conceptuelle, Paris, Éditions Hermès-Lavoisier, Coll. « Communication, médiation et construits sociaux ».

Sfez, Lucien (1988), Critique de la communication, Paris, Seuil.

Sfez, Lucien (2002), Technique et idéologie. Un enjeu de pouvoir, Paris, Seuil.

Wiener, Norbert (1954), Cybernétique et société, Paris, Éditions Des Deux-Rives.

[1]Nous nous référons ici à l’analyse de Mannheim. Pour lui, l’utopie renvoie à un récit qui se distingue de l’idéologie. La première relève d’une vision idéalisée en rupture avec l’ordre établi alors que la seconde participe au contraire à son maintien. K. Mannheim, (2006), Idéologie et utopie, Paris : Maison des sciences de l’homme, 1ère éd. 1929.

[2]Ce travail d’analyse a été effectué dans le cadre d’une thèse de doctorat réalisée sous la direction de Lucien Sfez et après son obtention en 2008 à l’université Panthéon-Sorbonne Paris 1.

[3]Pierre Musso philosophe, politiste est spécialiste des réseaux de communication ; Philippe Breton est sociologue de la communication, historien des techniques et spécialiste de la rhétorique politique.

[4] Wiener, Norbert. Cybernétique et société. Paris, Éditions Des Deux-Rives, 1954.

[5] L’ambition de Norbert Wiener après la seconde guerre mondiale consiste à fonder une science nouvelle, celle du contrôle et de la communication qui servirait à comprendre et à expliquer le comportement des êtres vivants (espèces animales, humaines, organismes biologiques…) et non vivants (organismes végétaux, machines …). Cf Céline Lafontaine (2004), L’empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine, Paris, Seuil.

[6]Les saint-simoniens, conseillers de Napoléon 3, déforment la pensée de leur maitre en appréhendant l’association universelle humaine par le truchement des réseaux matériels ; l’économie du changement social est réalisée par l’expansion des réseaux techniques. Pierre Musso, (2003), Critique des réseaux, Paris, Presse universitaire de France.

[7]Pour Pierre Musso, la rétiologie relève d’une idéologie réticulariste qui renvoie au processus de dégradation conceptuelle de la pensée-réseau. Pierre Musso, op. cit.

[8] Notre enquête de terrain repose sur une démarche qualitative de type semi-directif ; les entretiens ont été réalisés entre 2002 et 2008 auprès d’une cinquantaine de conseillers en charge du pôle (N)TIC travaillant auprès de ministres, d’élus locaux (représentants de conseils régionaux, départementaux, municipaux). Les documents analysés sont issus d’une trentaine de rapports étatiques notamment édités au journal officiel, à la documentation française, à l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques ainsi que d’une vingtaine allocutions politiques (président de la république, ministres, secrétaires d’état, parlementaires), nous tenons compte des changements de majorité droite/gauche.

[9] L’analyse sémantique que nous avons réalisée de manière qualitative consiste à identifier les différentes visions que les locuteurs adoptent dans leurs rapports, allocutions et discours institutionnels pour justifier le développement ou non des techno-réseaux (services, infrastructures). Il s’agit en ce sens de repérer les types d’arguments (techno-déterministes/pragmatistes) sur lesquels les locuteurs s’appuient de manière prédominante.

[10] Notre réflexion s’inscrit dans le travail critique qu’entreprend Pascal Robert dans ses ouvrages sur le mode d’existence idéologique des TIC. Nous reprenons la notion d’impensé qu’il explore notamment dans le champ politique et médiatique au sujet de l’informatique et du numérique.

[11] Nous nous référons au travail présenté par Max Weber dans son ouvrage Économie et société. Les catégories de la sociologie publié en 1922.

[12]Par exemple, le modèle de DSP est défendu par des élus de gauche du parti socialiste alors que les marchés de service par des élus de droite de l’union pour un mouvement populaire.

[13] La question du transhumanisme n’est quasiment pas traitée dans les rapports européens et français, certains rapports sur l’intelligence artificielle en font mention ou l’abordent en lui consacrant quelques pages avec une connotation négative, l’associant à des récits mythologiques d’ordre religieux et chimériques.

[14] À titre d’exemple, citons le document de séance produit par la députée Mady Delvaux publié au Parlement européen en 2017 intitulé Rapport contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique. La rapporteure ne mentionne pas le terme de transhumanisme mais utilise une terminologie proche avec l’idée que « l’IA surpasse un jour les capacités intellectuelles des êtres humains » (p. 5) et « d’amélioration ou de réparation du corps humain » (p. 16).

[15]Lucien Sfez, pour saisir le rapport que les hommes entretiennent au réel, élabore trois métaphores de la communication : – Représenter ou la machine, l’homme agit avec la technique ; – Exprimer ou l’organisme, l’homme agit dans la machine ; – Confondre ou Frankenstein : le tautisme, l’homme agit par la technique. Nous avons complété cette typologie en construisant une quatrième métaphore : Imprévoir ou l’auto-organisation : le saut quantique, l’homme agissant sans la technique. Il est question de montrer par le biais de cette métaphore que la réalité se construit à l’aune de stratégies d’influence dont la multiplicité et la superposition démunissent l’homme de sa capacité à symboliser.

Biographie de l’auteur

Tiphaine Zetlaoui est enseignante-chercheure en Sciences de l’Information et de la Communication. Affiliée au laboratoire MUSE elle est responsable du master de Communication d’influence. Ses travaux portent sur la société numérique et plus particulièrement sur la place que joue les pouvoirs publics à l’égard de la régulation, des usages et du développement des technologies de l’information et de la communication.