N°1 | Anne Sexton, ou le ‘plagiat’ féministe des contes de fée

Par Nicole OLLIER

 

Résumé :

Les Transformations d’Anne Sexton se réapproprient les contes de fée de Grimm, héritage universel du domaine public, et prétendent les accommoder selon la musique personnelle de la femme poète. Le terme de plagiat est à entendre non dans son acception moderne, pénale, mais plutôt à la façon de Giraudoux, comme “base de toutes les littératures”. Dans cet emprunt et ce “revisioning” selon Adrienne Rich, Anne Sexton se cache mais aussi se livre jusque dans ses secrets intimes, ses blessures profondes – elle inspirera une émule grecque en Amérique, Olga Broumas. De la persona de la sorcière à celle du griot convivial soignant la communion phatique, la poète se met en scène et souligne lourdement ses ficelles, [ab]usant du mode de la comparaison en lieu de la métaphore. Elle marie le conte avec les modes tour à tour surréaliste, postmoderniste, propose une relecture crue, désenchantée, voire sordide, et carnavalesque à la fois, ne gomme rien de la cruauté initiale des contes, souligne là une sexualité marginale qui la ramène aux traumas phantasmés ou réels de sa propre enfance. Elle s’abrite derrière l’innocence fabulaire pour crever des abcès éminemment privés, transformant ces contes en un genre autobiographique, dont l’idée fit des disciples.

Abstract:

Anne Sexton’s Transformations appropriate Grimm’s fairy tales, a public, universal heritage, and aim at playing them according to the poet’s own personal music. Plagiarizing here is to be understood, not in its legal meaning, but rather according to Giraudoux’s notion of “basis to all literatures”. In this “revisioning,” to use Adrienne Rich’s term, Anne Sexton hides and reveals herself down to her most intimate secrets, her inmost wounds – she will inspire a Greek disciple in America, Olga Broumas. From the persona of the witch to that of the convivial ancestral story-teller attentive to phatic communion, the poet stages herself and underlines her tricks, abusing the trope of comparison rather than metaphor. She blends the fairy tale with the surrealistic or the postmodernist modes, carnivalizing, offering a crude, disenchanted, sometimes sordid re-reading, never attenuating the cruelty of the original versions. She occasionally underlines a marginal sexuality, and is brought back to the fantasized or real traumas of her own childhood; she dons the mask of innocence to lay bare some private taboos, transforming these tales into an autobiographical genre, whose idea emulated followers.

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“Le plagiat, c’est-à-dire la vente d’un enfant volé serait aussi peu poursuivi qu’il est rare dans l’Europe chrétienne. À l’égard du plagiat des auteurs, il est si commun qu’on ne peut le poursuivre.”

Voltaire, Politique et Législation, Prix de la justice et de l’humanité.

“That moment of transformation—only the gods really like it! Men and beasts almost never take in enough of the wonder to justify the trouble.”

Eudora Welty, “Circe”

        Anne Sexton, connue comme poète confessionnelle flamboyante et parfois provocatrice, écrivit un ouvrage dont le titre proleptique laissait percevoir ses intentions, Transformations. Cet affichage pourrait exonérer du soupçon de plagiat si nous l’entendons comme appropriation frauduleuse ou indue d’un texte littéraire. Mais nous entendrons plagiat comme emprunt grossier, et comme système, méthode d’écriture. “Le plagiat est la base de toutes les littératures, excepté de la première, qui d’ailleurs est inconnue”. C’est par cette citation de Giraudoux que le petit Robert illustre sa définition (Siefried et le Limousin, I, 6). Le plagiat peut être vol littéraire, ou ce qui est emprunté, copié, démarqué. C’est piller les œuvres d’autrui, les reproduire exactement, c’est une imitation non avouée, un usage non signalé et non référencé de longs passages tirés d’ouvrages, d’articles ou d’autres sources. Aussi l’emprunt de contes tombés dans le domaine public ne saurait tenter le plagiaire. Car, même non avouées, les sources sauteront aux yeux. Le premier sens du plagiaire se réfère au vol d’enfant (1735) pour Voltaire : précisément un larcin fréquent dans les contes de fée, où ils sont extorqués par le chantage, la ruse, la malhonnêteté.
        Or quelle est la meilleure cachette pour un larcin, sinon de ne pas le dissimuler, faisait remarquer Lacan en prenant pour exemple “The Purloined Letter” d’Edgar Allan Poe ? Et si, en prenant un modèle aussi universellement connu, en intitulant son recueil d’un titre aussi transparent, “Transformations”, Anne Sexton se dédouanait plus aisément d’un acte de “revisioning”, tel que défini dans “When We Dead Awaken: Writing as Re-Vision” (1972) par Adrienne Rich, pour qui ce procédé aiderait les femmes à analyser et agir sur leur vie, sur “how we live, how we have been living, how we have been led to imagine ourselves, how our language has trapped as well as liberated us, how the very act of naming has been till now a male prerogative, how we can begin to see and name—and therefore live—afresh” (167). Et si ce qui était pillé, caché, ce n’était pas les contes, mais l’auteure elle-même ?
        Anne Sexton eut l’idée d’adapter les Contes de Grimm en observant sa fille aînée Linda les dévorer en rentrant de l’école. Elle l’interrogea sur ses histoires préférées puis entreprit des recherches sur ces contes collectés par les frères Grimm dans les campagnes germaniques. Ils avaient eu le soin scrupuleux de ne pas les atténuer sous prétexte de ménager un lectorat enfantin. La retranscription de Sexton, qui choisit parmi les différentes versions, épouse ce parti pris de fidélité aux sources, n’épargnant aucun détail, aussi cru soit-il. Mais la nature ambiguë des contes de fée laissait une grande latitude à l’appropriation et à l’interprétation. La poète parvient ainsi à imprimer son empreinte personnelle, notamment grâce à l’adjonction d’un cadre personnel, où elle annonce et illustre sa lecture, la manière dont elle s’identifie à ses personnages, puis tire sa propre morale.
        Lorsqu’elle eut achevé son œuvre, son éditeur craignait qu’elle ne déçoive ses lecteurs en leur offrant l’envers de la poésie confessionnelle qui avait fait sa gloire. [i] Or ce recueil eut un succès aussi retentissant que ses Poèmes d’amour, car elle s’y livre aussi intimement que dans les vers qui dévoilent sans détour sa vie privée mais très publique ou, selon les termes d’une critique, ses appétits privés mais publiés.[ii] Elle s’y représente sous divers masques, se place au cœur de l’acte narratif, instaure un dialogue avec son auditoire, qu’elle interpelle, dont elle sollicite la complicité, qu’elle rudoie et choque. L’interface entre le conte daté et plus ou moins fixé, et son propre discours moderne, alerte, subversif, ménage un espace d’échange et de transformation, une aire de dialogue, ou plutôt de dialogisme qui confèrent au conte transformé un humour d’autant plus caustique que celui-ci a été par ailleurs plus fidèlement respecté. Elle expliqua sa recette à Brian Sweeney : “I take the fairy tale and transform it in a poem of my own, following the story line, exceeding the story line and adding my own pzazz. They are wry and cruel and sadistic and funny” (cité dans Middlebrook 336-37). Le livre fut brillamment illustré par son amie Barbara Swan et donna lieu à un opéra de Conrad Susan (Middlebrook xxi).
        Nous verrons ici l’empreinte de la femme-poète dans quelques poèmes, choisis en partie pour l’héroïne féminine éponyme, en partie pour ce qu’ils ont à leur tour inspiré une poète d’origine grecque : Olga Broumas. Cette dernière, visiblement influencée par Anne Sexton, a néanmoins choisi une démarche plus libre, où le support du conte n’est que prétexte, motif d’un crédo féministe et lesbien.

La Sorcière inspirée        
        Anne Sexton choisit pour ouvrir ses Transformations “The Gold Key”, où la narratrice se présente comme une sorcière inspirée, son masque de lecture préféré, “a middle-aged witch, me…, my face in a book / and my mouth wide” “ready to tell you a story or two.” Elle commençait en effet toute lecture de ses poèmes par “Her Kind” : “I have gone out, a possessed witch…. A woman like that is not a woman, quite…. A woman like that is misunderstood…. I have been her kind”. [iii] Ce geste théâtral lui permettait de différencier le moi intime de son personnage public. [iv] Quant à la raison d’être de la narration ? Trouver les réponses aux questions existentielles, à n’en pas douter. Permettre de maîtriser ce qui ne pouvait l’être autrement [v] ; pour Anne Sexton, la poète qui ne voulait pas grandir, qui jouait avec ses filles à avoir neuf ans, le conte fournit un espace de régression privilégié, un lieu d’introspection et d’exhibition. [vi]
        Cette sorcière à l’avant-scène qui déclame et retient l’attention est encore au centre du discours préliminaire dans “Le Petit Chaperon Rouge”. La fable est présentée comme la dramatisation de la feinte : “Many are the deceivers”.[vii] Parmi les falsificateurs, un artiste comique célèbre dans tout le pays pour ses imitations d’hommes politiques, mais qui, après une représentation, s’ouvre les veines des poignets dans un hôtel anonyme. Cette tentation amène tout droit à la conteuse et poète : “And I. I too”. Elle contraste la femme qui se produit en public,[viii] apparemment maîtresse d’elle-même, et la tempête de panique sous le masque d’un front serein, “surgery”, “panick”, “the death run”. L’autre mensonge qui l’affecte est son vain effort pour commencer une nouvelle vie, cependant que sa mère disparue la hante et vient lui reprocher de l’avoir désertée. Le passé surgit avec ses souvenirs fidèles ou imaginés, les relents d’une enfance volontiers représentée comme malheureuse, pour dénoncer l’illusion du présent.[ix]
        De la transe de la sorcière à l’inspiration du griot, il n’y a qu’un pas vers la folie, celle qui apparente la conteuse au héros Jean de Fer, Iron Hans. L’auteure de The Book of Folly et de To Bedlam and Part Way Back transparaît derrière cet appel parodiant la statue de la Liberté : “I am mother of the insane. / Let me give you my children”. La poète se représente comme une folle dont la simple vue vous mettrait en déroute :

Take a woman talking,
purging herself with rhymes,
drumming words out like a typewriter,
planting words in you like grass seed.
You’ll move off.

        La femme adresse agressivement son verbe à l’auditoire, détournant la communication à des fins de cure analytique, de purge salvatrice ; la poète éclate ce persona en une multiplicité d’autres, qui hallucinent la voix de Dieu, ou sont tentés de jeter leur corps “comme un épi de maïs” : il est aisé d’entendre là des confessions auctoriales. Poète ivre au nombre des insomniaques insupportables donnés en exemple dans “The Twelve Dancing Princesses”, transformé en parabole des nuits blanches où sont passées en revue toutes formes d’éveil nocturne. “Le poète ivre” se prend pour un génie et vous appelle à trois heures du matin pour vomir sa poésie, abusant sadiquement de son interlocuteur, “getting his kicks out of his death call”. Cela ressemble fort à la femme poète, travaillant ses poèmes au téléphone avec Maxine Kumin, ou tyrannisant ses amis avec ses exigences dans ses périodes de panique morbide.

Communion phatique        
        Ainsi la poète se dévoile, s’auto-dénonce, se confesse, sur le mode discursif. Narratrice supra-diégétique, la persona de la conteuse entretient une complicité avec son destinataire et multiplie au cœur même des formules consacrées, “Once there was”, tout un arsenal de signalements phatiques, qui créent le contact et maintiennent une confidentialité familière avec ceux qu’elle appelle “mes amis”, “oh my friends”. [x] Dans “Cendrillon”, elle souligne à l’intention de ses auditeurs les éléments à retenir, “The bird is important, my dears, so heed him”.
        Mais combien plus confortable de se couler dans l’histoire d’un autre, sous la peau d’un autre ! En effet l’actrice qui prend la parole pour jouer sa vie sur scène dans le poème “The Play” récolte des huées en tomber de rideau car “there are few humans whose lives will make an interesting play”.

Le Banal et le familier
        Le fait que l’histoire racontée soit du domaine public et populaire est ostensiblement souligné. La conteuse de “Cendrillon” avertit le lecteur de la banalité de l’histoire archi-connue qui va lui être contée : “Next came the ball, as you all know” “Which is no surprise”. La série d’illustrations préliminaires à la narration proprement dite entend être aussi commune que possible, et le caractère itératif de l’expérience, l’ascension sociale du plombier, de l’infirmière, du crémier, de la femme de ménage, est assenée par le refrain et ses variantes humoristiques : “From toilets to riches.” “From diapers to Dior.” “From homogenized to martinis at lunch.” “From mops to Bonwit Teller.” Les personnages introduits demeurant des archétypes dans des situations archétypales, c’est une version générique du rêve américain qui est contée, reproductible comme les canettes de Coca Cola ou les boîtes de soupe d’Andy Warhol.
        La modernisation de la fable, son américanisation, décapent sa patine prestigieuse, la magie du merveilleux, le mystère respectueux de la tradition. Ainsi le bal dans “Cendrillon” est présenté comme une foire aux célibataires, “a marriage market”. Des touches de réalisme, compréhensibles d’un seul public d’adultes, désignent le vieillissement de la reine qui perd sa beauté dans Blanche Neige : “the queen saw brown spots on her hand” “and four whiskers over her lip”. Lorsqu’elle croit se faire servir le cœur de sa rivale, elle le mastique  “The queen chewed [the boar’s heart] like a cube steak.
        Dans “La Belle au Bois Dormant”, une coutume américaine fort décriée par Bettelheim, et qui l’aurait sûrement été par Françoise Dolto, est appliquée aux courtisans mâles : le roi leur ordonne de se savonner la langue de crainte d’empoisonner l’air que respire la princesse. Il est possible que cette punition, plutôt infligée aux enfants s’étant rendus coupables de proférer des gros mots, ait fait partie des humiliations corporelles traumatisantes que se rappelait ou s’imaginait avoir subies la poète dans son enfance. S’ils ne respectent pas ce rite, les courtisans du conte sont crucifiés sur les épines des ronces qui entourent le château de la Belle. Mais celles-ci s’ouvrent comme les eaux devant Moïse lorsque le Prince élu s’approche, l’allusion biblique unit le séculaire au religieux dans un syncrétisme indifférent.
        Les anachronismes se compensent mutuellement, ainsi les jeunes princesses dans “The Twelve Dancing Princesses”, lorsqu’elles se font belles pour aller au bal, ressemblent à des jeunes filles qui se préparent pour le Concours de Miss Amérique : “the… princesses… fussed around like a Miss America Contest”. Mais cette comparaison est aussitôt contrebalancée par une allusion mythologique, la question posée au soldat chargé de leur surveillance ressemble à une énigme sphyngienne :

That morning the soldier, his eyes fiery
like blood in a wound, his purpose brutal
as if facing a battle, hurried with his answer
as if to the Sphinx

La Comparaison comme système        
        La comparaison est en effet un autre procédé qui souligne lourdement la réappropriation du conte, Anne Sexton en use jusqu’à pléthore, et elle est sans doute à son sommet d’inventivité et de prolixité dans Transformations. Ainsi dans “Blanche Neige”, les comparaisons réduisent le merveilleux au banal, au quotidien, le miroir de la belle-mère devient “something like the weather forecast”. “Pride pumped in her like poison.” “Snow White / had been no more important / than a dust mouse under the bed.” La chaussure va à Cendrillon, non comme un gant, mais comme une lettre d’amour : “This time Cinderella fit into the shoe / like a love-letter into its envelope”.
        Dans “Raiponce” / “Rapunzel”, un va-et-vient permanent s’établit entre le poétique et le trivial, la joliesse et le grotesque, aboutissant à des raccourcis d’un mauvais goût recherché :

Give me your skin
as sheer as a cobweb, […]
We are two clouds
glistening in the bottle glass.
We are two birds
washing in the same mirror. […]
we have kept out of the cesspool.

L’incongru se glisse comme un hiatus dérangeant entre les termes de la comparaison, tirant vers le non-sens ou le surréalisme.[xi]
        L’innocente jeune fille découvre l’espèce mâle avec stupeur : “What is this moss on his legs? / What prickly plant grows on his cheeks?” Leur jouissive connaissance mutuelle est décrite en termes hérétiques : “they sang out benedictions like the Pope.” L’émancipation de la jeune fille est comparée au stade qui suit celui du tricycle ou du poisson le vendredi, “proving that mother-me-do / can be outgrown, / just as the fish on Friday, / just as a tricycle”.
        La maternité béate est souvent décrite sur le ton de la dérision, et son envers évoqué en termes tout aussi frappants.[xii] Ainsi, dans “La Belle au Bois Dormant”, la méchante fée n’est ni mère ni marraine, mais stérile et venimeuse, ce qui la réduit à la synecdoque, “her uterus an empty teacup”. Anne Sexton ajoute pour décrire l’effroi jeté parmi les invités par sa malédiction une comparaison tirée d’un souvenir personnel, le cri du tableau de Munch, “Munch’s Scream”, comme “un trou dans la joue”, lequel avait fort impressionné la poète. Les mots “exterminated” et “exorcised” appliqués au rouet fatal, d’une part introduisent explicitement le champ sémantique de l’holocauste, d’autre part nomment le but ultime du poème : exorciser les terreurs d’enfance.

Surréalisme et postmodernisme        
        La juxtaposition du quotidien et du surnaturel crée un effet de décalage. Des éléments de décor saugrenus deviennent surréalistes, telle cette lune accrochée par le roi avec une épingle de nourrice pour briller immuablement sur la princesse, comme sur un castelet de marionnettes dans “La Belle au Bois Dormant”. Blanche Neige est décrite presque comme un objet postmoderne, fragmentaire, éclaté, constitué d’un ramassis d’éléments hétérogènes qui font d’elle une fragile poupée, “rolling her china-blue doll eyes / open and shut”. Elle renferme des combinaisons exotiques ou précieuses : “arms and legs made of Limoges”, des lèvres comme du vin du Rhône au lieu du rubis traditionnel, des joues en papier à cigarette – alcool et tabac, les deux penchants de la poète, graines de corruption dans la virginité innocente, décrite avec mépris. “She is unsoiled. / She is as white as a bonefish” : elle a d’ailleurs tout du perroquet en cage, jusqu’à son répertoire verbal limité. Sa sécabilité en pièces jetables rappelle les poupées contorsionnistes et décomposables du surréaliste Hans Bellmer.[xiii]

Les Interprétations, les « not-so happy endings »        
        Bien qu’Anne Sexton observe une fidélité remarquable aux détails des Contes de Grimm, elle aime souligner leur crudité, ou encore elle nuance considérablement la morale des conteurs germaniques. Ainsi l’image finale de Blanche Neige la montre, plus poupée que jamais, et répétant le geste narcissique de sa belle-mère, l’acte vain de se regarder dans le miroir, qui semble augurer d’un avenir bien sombre où elle reproduirait les vilenies de la méchante reine. Or Anne Sexton aimait dire que c’était l’ego et non plus l’inconscient qui prenait la parole à la fin des poèmes.[xiv]
        Elle évoque le mariage en termes négatifs dans “The White Snake” : “a kind of coffin, a kind of blue funk”. Dans “Cendrillon”, la coda n’est guère alléchante ; elle décrit deux poupées dans leur emballage plastique, “Regular Bobbsey Twins”, le couple parfait mais artificiellement libéré du fardeau des couches, du ménage ou de la cuisine “never bothered by diapers or dust, / never arguing over the timing of an egg. La fable dresse ainsi la satire de l’enfermement de la ménagère américaine, [xv] et traduit le sentiment de Sexton d’avoir été victime du rêve américain et des idéaux bourgeois. [xvi] La poète se souvint de l’anéantissement de ce rêve dans une soudaine prise de conscience de son leurre à l’âge de vingt-huit ans.[xvii] Sa crise lui permit de renaître à la poésie.[xviii]
        La Cendrillon d’Olga Broumas, quant à elle, se rebelle contre la langue patriarcale des princes et contre leur pouvoir, elle résiste à la tradition héritée des hommes qui représente ses sœurs sous les traits d’horribles mégères que la mutilation punit comme elles le méritent. Elle se lamente de la séparation d’avec elles et implore de retrouver ses cendres, son foyer, sa cabane où vivre en leur compagnie, de préférence à l’or et aux privilèges des princes qui, lui ayant enseigné l’art de manier la langue, ne pouvaient que la louer pour son habileté. Si cet enseignement l’a servie, si elle a bu les compliments, elle voudrait pourtant retourner à la vérité de son héritage féminin.
        Le point de vue d’Anne Sexton évolua au cours de sa carrière. Si au début, elle recherchait l’invisibilité du genre, jusqu’au compliment “she writes like a man”, elle en vint à penser tout le contraire : “As long as it can be said about a woman writer, ‘She writes like a man’ and she takes it as compliment, we are in trouble”. [xix] Ce qu’elle voulait en définitive, c’est écrire Sexton, sa question lancinante étant de savoir si ses poèmes avaient une voix, sa voix (Middlebrook 81) : “I don’t want to be just a poet, writing essence of poetry. I want more content, story, more of the stamp of the individual”.[xx] L’empreinte Sexton. Pour ce faire, il lui fallait plonger dans l’inconscient, et la spécificité de son art fut cette œuvre au noir, résultant en la transformation de cette matière en poème distinct.
        Les a priori d’Anne Sexton concernant la nature féminine, peut-être par hyperbolisation du point de vue masculin des contes originaux, montrent la femme ni sœur ni compagne, mais capricieuse et gratuitement tyrannique dans “Jean de Fer”. Et la cruauté de la princesse sadique multipliant ses exigences au fur et à mesure qu’elles sont satisfaites semble attribuée à sa nature féminine insatiable et perverse :

But the princess, ever woman,
said it wasn’t enough. […]
The princess, ever Eve,
said it wasn’t enough.

La Sexualité marginale au grand jour        
        La signification sexuelle des contes a maintes fois été mise en évidence : Anne Sexton tire parfois un effet comique de cette composante. La fable du “Petit Chaperon Rouge”, parabole sur la naissance, a beau jeu de souligner la carnavalisation du loup ; son ventre rebondi après la dévoration de la grand-mère lui donne la silhouette d’un travesti, ou d’une femme enceinte, “a wolf dressed in frills, / a kind of transvestite”, “He appeared to be in his ninth month”. Le chasseur qui le retrouve endormi après ses agapes lui pratique une césarienne pour délivrer les deux femmes : “So he took a knife and began cutting open / the sleeping wolf, a kind of caesarean section”.
        Le poème “Rapunzel” est une version très modifiée du conte “Raiponce”. La version des frères Grimm narre l’histoire d’une femme enceinte prise d’une telle envie d’une salade de raiponces, qui poussaient dans le jardin voisin, que son mari sauta le mur pour lui en voler. Or la sorcière à qui elles appartenaient le surprit, et n’accepta d’apaiser sa colère qu’en échange du nouveau-né, qu’elle nomma du nom des plantes. Elle séquestra la fillette dans une tour, à la fenêtre de laquelle elle montait en se hissant aux longs cheveux d’or de Raiponce, et lorsqu’un prince amoureux surprit ce manège et l’imita, il ne put renouveler sa ruse car la sorcière s’en aperçut, lui tendit un piège et sépara les amants, qui se retrouvèrent des années plus tard seulement. Le conte est transformé par Anne Sexton en fable lesbienne tragique pour la geôlière – on a voulu voir dans cette fable une résurgence d’un possible abus de sa grand-tante, dont le souvenir venait hanter ses séances de psychothérapie.
        Les trois premiers vers du poème ont servi d’épigramme à celui d’Olga Broumas : “A woman / who loves a woman / is forever young”. L’introduction d’Anne Sexton s’appuie sur un présupposé, la prétendue banalité notoire de la séquestration de jeunes filles vierges par des parentes aînées qui les gardent pour leur plaisir sexuel. Mais l’évocation de cette promiscuité féminine est bien loin de constituer une ode à la féminité ou à l’homosexualité féminine. La femme plus âgée qui abuse de la jeunesse de l’autre avance une série de prétextes peu convaincants, sous forme de litanies Whitmaniennes dont les références s’embrouillent en un absurde amalgame : “for I am at the mercy of rain, / for I have left the three Christs of Ipsilanti, / for I have left the long naps of Ann Arbor”.
        Sexton utilise un vocabulaire religieux cher aux lesbiennes pour parler du lieu délaissé de ses appétits sexuels, “The sea bangs into my cloister”. Cette métaphore est reprise par Olga Broumas : la relation est inversée, la jeune fille est non seulement consentante, mais revendique la liberté de ses actes, et son plaisir, “I’ll break the hush / of our cloistered garden our harvest continuous / as a moan”. Olga Broumas emprunte aussi à Sexton une métaphore florale, “Let me hold your heart like a flower / lest it bloom and collapse” et une exhortation de la vieille tante, “Give me your nether lips / all puffy with their art / and I will give you my angel fire in return.” Cependant elle transforme ces deux emprunts en un lyrisme poétique : “Red // vows like tulips. Rows / upon rows of kisses from all lips.”
        La scène initiale chez Sexton se déroule dans le jardin d’une sorcière surpassant en beauté celui d’Ève. Le rapprochement des deux entités souligne le mal dont les deux femmes sont légendairement capables. La sorcière combine Dieu et l’enfer dans son nom Mother Gothel, mais elle ne peut assouvir son désir de maternité que par le larcin d’un bébé. [xxi] Le conte originel laisse le Prince ravir la princesse sans nous renseigner sur le sort de la sorcière, tandis que dans le poème, la mort qui vient la punir de ses méfaits la transporte pourtant dans un phantasme poétique miséricordieux : “and only as she dreamt of the yellow hair / did moonlight sift into her mouth”. Cette pitié pour la vieille amoureuse qui meurt de chagrin, fidèle à Raiponce, est muée chez Olga Broumas en plaidoyer pour la femme aînée ; la jeune fille, source narrative du poème, demande sa réhabilitation et celle de leurs amours, en maudissant les médisants :

May those who speak them
choke on their words, their hunger freeze
in their veins like lard.
(Beginning With O 59)

Briar Rose (Sleeping Beauty)        
        C’est en clôture de ses Transformations qu’Anne Sexton revient le plus précisément à son histoire personnelle, à travers “Briar Rose”, “Fleur d’Epine ou La Belle au Bois Dormant”. [xxii] Elle y dévoile la promiscuité odieuse dont elle fit l’objet de la part de son père, figure dominatrice oppressante.[xxiii] Le sommeil de la belle est un état de transe [xxiv] catatonique, familier à Anne Sexton, proche de l’hypnose, qui lui donne accès à l’inconscient, comme lors d’une cure analytique. La patiente revit le trauma d’enfance à l’origine de ses tourments. [xxv]
        Le père appelle sa fillette de surnoms cajoleurs, réifiants – “Princess”, “Little doll child, / come here to Papa” – , ou lui fait de douteuses promesses (“Come be my snooky / and I will give you a root”), ce que la narratrice commente ainsi : “That kind of voyage / rank as honeysuckle”. Rien de plus naturel pour un géniteur que d’être la racine de l’enfant, mais la coda du poème donne un sens phallique plus littéral à la proposition.
        Anne Sexton prend une liberté avec le conte original au réveil de la Princesse, qui s’exclame “Daddy!” et souffre dès lors d’insomnie persistante, d’une crainte de l’endormissement qui s’apparente à celle de la mort, la peur de rêver, de son inconscient : “Death rattles in my throat / like a marble”. L’anaphore pseudo-whitmanienne – “I was / I was / I was / I was / That much / That much” – produit un effet lyrique et poignant. Soudain le temps change, comme le ton, accusateur : “There was a theft”. La persona du poète remonte à l’époque d’une trahison, d’une violence, symbolique ou littérale, sa crucifixion : “I was abandoned”, “I was forced backward. / I was forced forward”, “I was passed hand to hand / like a bowl of fruit”, “Each night I am nailed into place”. D’où une perte d’identité : “I forget who I am”. L’accusation finale est adressée au père, gélatine armée des dents de la mer, “circling the abyss like a shark”, “a sleeping jellyfish”, soit un avatar de la grenouille qui est “my father’s genitals” dans “The Frog Prince”. Par son acte, le père a fait de sa fille une prisonnière à vie, et la vie après la mort ne lui semble guère enviable. Pour Rosemary Johnson, c’est un instant de fantasme, la poète s’imagine qu’on lui a volé une enfance heureuse, et qu’elle a été maltraitée.[xxvi] Bien plus, Johnson soutient que l’éveil de la Princesse clôt la vérité du conte et ouvre la voie aux mensonges et aux distorsions de cette vérité.[xxvii]
        Olga Broumas fait une lecture beaucoup plus libre de ce conte, c’est encore une fable lesbienne, une jeune femme se réveille d’un sommeil plein de rêves, avec des marques de baisers fougueux sur le corps. Elle sort, traverse la rue, et sa compagne l’embrasse publiquement, faisant immédiatement l’objet de regards réprobateurs. Le feu rouge du passage protégé marque à la fois le caractère conventionnel et arbitraire des interdits dans une culture donnée, et la carnalité meurtrière des lèvres des hommes spectateurs.
        En concluant ses Transformations par ce poème apparemment autobiographique, Anne Sexton suggère qu’elle a su utiliser le potentiel offert par la naïveté convenue des contes de l’enfance pour extirper des problèmes aussi intimes qu’explosifs et régler des comptes personnels. Elle avait appris, notamment, qu’elle était peut-être le fruit d’une union illégitime, et que son vrai père n’était pas nécessairement celui qui l’avait élevée,[xxviii] possible facteur déclenchant de sa fureur contre ce dernier. Olga Broumas, qui aime dire “I am a very private person”, souffrit de la confession trop transparente bien que détournée, de son homosexualité dans le recueil Beginning with O. Elle décida ensuite d’emprunter un genre beaucoup plus opaque que ces variations sur les archétypes des contes, et de se protéger par des buissons d’épines verbales plus touffus pour barrer la route aux pénétrations trop faciles des princes indignes ou des voyeurs malsains. Elle aussi dit ses poésies sur scène, corps et âme, avec un immense succès, mais avec pudeur et une plus grande douceur, avec moins de stridence dans la voix que son aînée.
        Il était fatal que le machisme satisfait et l’esprit bourgeois des frères Grimm fournissent un matériau de choix à deux poètes femmes modernes dont le vent de féminisme attisait la révolte. Anne Sexton fut précurseure, une initiatrice au milieu d’un public américain dont le puritanisme exigeait d’être secoué. Olga Broumas, issue d’un coin fort misogyne de la planète, crut pouvoir s’appuyer sur l’édifice construit par cette poète maudite, mais elle dut s’apercevoir que cet emprunt n’était pas sans les retombées de la gloire, une perte d’identité, imprudemment jetée à la pâture publique. Phyllis Chester dans Women and Madness, a souligné la pérennité des figures archétypales de Perséphone, Psyché et la Vierge Marie, devenues Cendrillon, Blanche Neige et la Belle au Bois Dormant,[xxix] réincarnées en ces femmes modernes ordinaires, dépressives, alcooliques, frigides, cloîtrées, suicidaires, qui peuplent les banlieues américaines. Anne Sexton interrogée sur son accession à l’écriture poétique racontait toujours sa version personnelle de Blanche Neige,[xxx] une mère impressionnante, la pomme empoisonnée, la pression de la société pour qu’elle mène une existence conventionnelle, et le prince, le psychothérapeute qui sut lui trouver le remède et la transformation magique, la poésie.[xxxi] À Snodgrass est attribué le rôle de catalyseur de son talent, faire de la poésie le véhicule de l’autobiographie et de l’auto-analyse, ce qui allait devenir sa signature. [xxxii] La fin de son recueil Transformations, écrit avec une grande aisance, en même temps que The Book of Folly et The Death Notebooks (Middlebrook 332) coïncida avec la fin de ses séances avec Dr. Martin Orne, et avec l’achèvement de sa transformation personnelle (Middlebrook 214). L’écriture était destinée à assurer sa vie après la mort. [xxxiii] Elle ne se trompait guère, d’une part les mots dépassaient de loin son intention et sa pensée,[xxxiv] d’autre part l’empreinte Sexton devait durer.

        

Ouvrages cités

Biro, Adam et René Passeron. Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs. Paris : Presses Universitaires de France, 1982. Print.

Broumas, Olga. Beginning With O. Foreword by Stanley Kunitz. Yale Series of Younger Poets, 1977. Print.

Chester, Phyllis. Women and Madness. 1972. New York / London : Four Walls Eight Windows, 1997. Print.

Colburn, Steven E., ed. Anne Sexton: Telling the Tale. 1988. Ann Arbor : The U of Michigan P, 1998. Print.

Ferrier, Carole. “Anne Sexton: Demystifier or Mystic? Anne Sexton: Telling the Tale, ed. Steven E. Colburn. 1988. Ann Arbor : The U of Michigan P, 1998. 365-75. Print.

Johnson, Rosemary. “The Woman of Private (but Published) Hungers.” Anne Sexton: Telling the Tale, ed. Steven E. Colburn. 1988. Ann Arbor : The U of Michigan P, 1998. 387-402. Print.

Middlebrook, Diane Wood. Anne Sexton: A Biography. London : Virago Press Ltd, 1991. Print.

Rich, Adrienne. “When We Dead Awaken: Writing as Re-Vision.” Adrienne Rich’s Poetry and Prose. New York : Norton, 1993. 166-177. Print.

Sexton, Anne. Transformations. Boston : Houghton Mifflin Company, 1971. Print.

___. The Complete Poems. Boston : Houghton Mifflin Company, 1981. Print.

Nicole OLLIER est Professeure de littérature américaine et traductologie à l’Université Bordeaux Montaigne, où elle enseigne aussi les Gender Studies et codirige un Master Genre. Elle s’intéresse à la poésie, aux études des minorités et postcoloniales. Elle a créé et dirige un collectif de traduction, « Passages », qui publie les œuvres bilingues de plusieurs auteur.e.s poètes ou dramaturges métissés de l’aire Caraïbe ou afro-américaine, ou encore un auteur nigérian (Kamau Daáood, Uwem Akpan, Olive Senior, Derek Walcott, Lorna Goodison), et aime partager leur lecture en organisant leur mise en scène ou leur mise en bouche, en musique et en danse.

        

Notes

[i] “She observed she had moved as far as possible from confessionalism” (Middlebrook 338). La pagination des poèmes n’a pas été incluse, le titre pouvant suffire, d’autant que certains figurent non seulement dans le recueil de poèmes complets, mais aussi dans Transformations.

[ii]Voir Johnson. La biographe de Sexton, Diane Wood Middlebrook ne dément pas : “Sexton was not a person with a strong sense of privacy […] many people found her exhibitionistic” (xxii).

[iii] “Through the use of an undifferentiated but double ‘I,’ the poem sets up a single persona identified with madness but separated from it through insight. […] it was [a dramatic gesture], the way Sexton stepped from person to persona […] The subjectivity in the poem insists on a separation between a kind of woman (mad) and a kind of poet (a woman with magic craft): a doubleness that expressed the paradox of Sexton’s creativity. […] ‘Her Kind’ was Sexton’s debut as witch” (Middlebrook 115).

[iv] “Sexton […] was also experienced in the ways that the ‘I’ of poetry is yet another kind of fraud, or con as she liked to say” (Middlebrook 179).

[v] “every poem is an attempt—to master those things which aren’t quite mastered” (Middlebrook 180).

[vi] “Anonymous was a woman, so feminists say, and no doubt she told fairy stories—old wives’ tales which concocted remedies, recipes for the pangs undergone during the rite of passage into the adult world. Sexton’s obsessions and regressions slip her, hand in glove, into this tradition. She pulls off her book of stories beautifully. Transformations contains her best work” (Johnson 399).

[vii] Une ménagère ordinaire illustre ce travers : sous son apparence plutôt laide et tranquille, elle cache une double vie, un amant qu’elle rencontre dans des lieux choisis comme par provocation, sur le parking de l’Église.

[viii] “Sexton was already beginning to experience her professional persona as a mask […]. It was during this same winter [1958] that she began developing the reading style that eventually made her one of the most memorable performers on the poetry circuit” (Middlebrook 96).

[ix] “I built a summer house on Cape Ann.

A simple A-frame and this too was

a deception—nothing haunts a new house. […]

…. My mother, that departed soul,

sat in my Eames chair and reproached me

for losing the keys to the old cottage. […]

The bed was stale with my childhood […]”

“she tended to exaggerate her childhood grievances in therapy” (Middlebrook 15).

[x] Elle présente ainsi Blanche Neige : “Say she was thirteen” puis sa belle-mère, “though eaten, of course, by age” “Beauty is a simple passion, / but oh my friends, in the end / you will dance the fire dance in iron shoes.”

[xi] “It [her hair] was as yellow as a dandelion / and as strong as a dog leash. […] / Hand over hand she [Mother Gothe]) shinnied up / the hair like a sailor […] / That song pierced his heart like a valentine […] / Like a chameleon he hid himself among the trees […] / he flung himself out of the tower, a side of beef. […] / As blind as Oedipus he wandered for years.”

[xii] “the guilty rage toward mothers that was sounding in the women’s poetry—for instance, in Plath’s ‘The Disquieting Muses,’ Rich’s ‘Snapshots of a Daughter-in-Law,’ and Sexton’s ‘The Double Image.’ […] Layered into their poetry was a protest against the equation of womanhood and motherhood” (Middlebrook 111-12). Ajouter à cela la vision sexuellement ambiguë de Sexton, “Sexton had fantasized in poems, and acted out in her life, seduction of and by mothers as well, most recently in Transformations” (Middlebrook 343). Une crise dans sa thérapie s’était focalisée sur ce problème, “problems of intimacy with women” (Middlebrook 166).

[xiii] Ou encore de manière plus poétique la femme de Breton ou Eluard, si ce n’est que les comparaisons ne sont précisément pas poétiques. “La poupée [de Hans Bellmer, 1902, 1975] que ses articulations, ses décompositions et ses poses érigent au rang de pierre philosophale anatomique […] elle respire l’effroi… C’est ainsi que le cauchemar et le rêve s’engendrent mutuellement” (Biro et Passeron 55). L’idée de cette poupée lui vint à la découverte de la Coppélia tirée du conte d’Hoffman. “Bellmer désarticule le corps pour le réarticuler selon des structures à la fois provocantes et impossibles, mais cependant animées par le rêve. […] La poupée, au sexe vagabond, au corps indéfiniment permutable, nous fait passer de l’autre côté du monde” (Biro et Passeron 344). Eluard les illustra de ses plus beaux poèmes.

[xiv] C’est à propos du poème “Flee on Your Donkey”, “It is the ego that writes such an ending: willfulness is one of the ego’s languages, and endings are one of the places where it likes to make a stand” (Middlebrook 180).

[xv] Son premier psychothérapeute, Dr. Martin T. Orne, en témoigne : “Although she was trying her best to live up to the 1950s image of the good wife and mother, she found the task completely beyond her” (Middlebrook xiii). Sa biographe renchérit : “Sexton wrote about the social confusions of growing up in a female body and of living as a woman in postwar American society” (Middlebrook xx). “Among Sexton’s social peers, emotional problems like hers were widespread, partly because in postwar America the concept of woman’s place in society had contracted into idealization of the housewife’s role” (Middlebrook 40). Certes, Anne Sexton n’était pas seulement “a discontented housewife” mais elle exprimait ce désir : “an irrepressible wish for an authentic social presence that was not wife, lover, or mother” (Middlebrook 40). “Women’s poetry was to provide a very important form of resistance during the next decades, and much of the most influential was to be written by Sexton and some of her Boston friends: Maxine Kumin, Denise Levertov, Sylvia Plath, and Adrienne Rich” (Middlebrook 40). Écrire de la poésie lui permit de décharger sa “terrible énergie” (Middlebrook 40) et lui servit de force directrice (“driving force” [Middlebrook xiv]). Middlebrook observe que “Rich, Plath, Sexton, had all been reared under exacting notions of propriety” (111). Elle ajoute : “Sexton was the first to tap the constraints women felt in conforming to prevailing feminine stereotypes, perhaps because she was developing her art under the psychological influence of a mother identified not with self-sacrifice but with writing” (113).

[xvi] C’est pourquoi elle s’implique dans cette comparaison, en vantant la condition du couple du conte, “never telling the same story twice”, à la différence de la poète.

[xvii] “I was a victim of the American Dream, the bourgeois, middle-class dream. All I wanted was a little piece of life, to be married, to have children…. The surface cracked when I was about twenty-eight. I had a psychotic break and tried to kill myself” (cité dans Ferrier 369). Ferrier cite aussi le poème “Housewife” qui montre la maison comme une seconde peau de la ménagère, son corps ; et rappelle que Plath et Sexton étaient toutes deux le produit de l’ethos du Ladies Home Journal des années 50.

[xviii] “When writing you make a new reality and become whole” (cité par Middlebrook 64). “Just as the act of writing took Sexton out of herself, into what she felt was another identity, so the finished poem conveyed meanings she had no consciousness of intending” (Middlebrook 61).

[xix] “she expressed the view that poetry was essentially feminine, so a female writer had to compensate by avoiding subjects too identified with women. The best compliment a female poet could receive, she said in 1962, “is ‘she writes like a man.’” Le tournant s’était produit d’ici 1969. “Radcliffe Institute introduced her to feminist ideas” (Middlebrook 173). Mais elle n’était pas féministe dans le vrai sens du terme : “Though she never affiliated herself with the politics of women’s liberation, […] she viewed her own development as shaped by economic and social processes that define women’s lives” (Middlebrook 151). “by 1962 Sexton had begun to experience the interesting social role of contemporary American woman poet as an identity with a life of its own, being shaped for her by the reception of her work” (Middlebrook 172).

[xx] “The only source of greatness was the writer’s ability ‘to go down deep’ into the unconscious. You can call it craft; it does not matter how you get there, but you have to dive down” (Middlebrook 165). Le poème “Flee on Your Donkey” montre la poète à l’œuvre, opérant sa transformation de la matière, “working out a new poetics, a distinctive way of ‘writing from the unconscious’” (Middlebrook 177).

[xxi] Sa punition est terrible, car elle souffre d’une insupportable douleur morale lorsque la jeune fille est ravie par le Prince et elle s’amenuise en un néant minéral, un peu comme Arachne punie par Athena.

[xxii] “My father had this thing about perfection, physical perfection that is—Sleeping Beauty remained perfect. Dying perfect was what Sexton did every night when she took her sleeping pill, making herself a Sleeping Beauty” (Middlebrook 216).

[xxiii] La préface introduit l’idée d’hypnose, méthode autrefois utilisée dans la cure analytique. La patiente est en état de transe, proche de l’état de catatonie qui affecta parfois la poète. Cette cure entre le spiritisme et le spirituel est un voyage régressif à contre-courant pour remonter le temps : c’est l’attitude fœtale comparée à la position de l’escargot enroulé à l’intérieur de sa coquille ou du saumon qui remonte le fleuve pour aller frayer.

[xxiv] “Writing put her in a state similar to a trance, making her dangerously inattentive to her children […]” (Middlebrook 61). “She could draw a simple equation: in trances she was a channel of lies; at her typewriter she was a channel for poetry. ‘Think I am a poet? false—someone else writes—I am a person selling poetry’” (Middlebrook 63). La biographe de Sexton lit le poème “Music Swims Back to Me” comme l’expression d’un désir d’atteindre la condition qu’elle recherchait souvent et atteignait rarement au cours des séances de thérapie, les états de transe, “the security of complete delusion” (70).

[xxv] Ainsi témoigne Dr. Martin T. Orne, “There is one aspect of Anne’s life that has not been clarified, that is, her tendency to become uncommunicative in a self-induced trance, which could last minutes, hours, or, in a few rare circumstances, even days. Typically, the trance episode could easily be ended by a therapist familiar with the symptom. […] Anne also had a remarkable fascination with death, and it seemed likely that she used some of the trance episodes to play the role of the dying, which perhaps helped her not to suicide” (Middlebrook xvii).

[xxvi] “Anne Sexton believes she has been robbed of a seemingly happy childhood, and it galls her. Yet so often in her view of herself as a child she goes beyond the bounds of belief and fact placing herself in a Gretel or Cinderella role, and grousing about ill treatment endured.” Johnson cite des passages de “Those Times…” dans Live or Die (397-98). Elle commente ainsi l’ouverture de la réminiscence de la Belle au bois dormant, “The Princess awakens from her enchanted sleep and nothing has been solved. Storytelling time is over, the lies and distortions of truth are back” (Johnson 402).

[xxvii] “Was Sexton’s report a memory or a fantasy? This question achieved great importance in her therapy, and in her art, but it cannot be answered with certainty. The evidence for it lies chiefly in the vividness and frequency of her descriptions during trance states” (Middlebrook 57). Les témoignages et les convictions se contredisent quant à la véracité de l’abus sexuel de son père. Le psychothérapeute Dr Martin T. Orne pense que le sentiment qu’elle avait d’avoir été abusée par lui avait pu être sexualisé par elle, qui avait tendance à tout sexualiser—ce pseudo-souvenir devenant une métaphore de ses sentiments. Lois Ames, assistante sociale psychiatrique, assurait au contraire qu’elle présentait tous les symptômes d’un abus sexuel infantile et était persuadée que son père et Nana, sa grand-tante, avaient tous deux abusé d’elle. Mais le Dr Orne mettait en avant son profil caméléonesque, qui lui permettait d’absorber les symptômes autour d’elle. Maxine Kumin elle aussi doutait de la crédibilité de ses souvenirs (Middlebrook 58). Il demeure que le trauma était présent : “the veracity of the incest narrative cannot be established historically, but that does not mean that it didn’t, in a profound and lasting sense, ‘happen.’ It is clear from many sources that Sexton’s physical boundaries were repeatedly trespassed by the adults in her family in ways that disturbed her emotional life from girlhood onward.” Dr. Orne insistait : “In many ways, her mother was the dangerous relationship” (Middlebrook 59).

[xxviii] “Azel Mark eventually succeeded in convincing Sexton that he was in fact her biological father” (Middlebrook 342). Ceci, plus de dix ans après la mort de Ralph Harvey et Mary Gray, et ses proches sont convaincus du contraire.

[xxix] “And what of Persephone and Psyche and the Virgin Mary? Why, they became Cinderella, Snow White, the Sleeping Beauty, struck dumbly domestic by a Demeter turned stepmother. They all turned to princes and white knights to rescue them from this rather incomprehensible turn of events. […] In our time, Psyche has three children but is very depressed. Lately, she never gets up before noon. The Virgin Mary is an alcoholic, hiding behind drawn shades. Persephone is frigid—and worries about it. Cinderella is anxious, paces back and forth a great deal, and has twice tried to kill herself” (Chester 37).

[xxx] “Embedded in Transformations are newly disguised versions of Judith the cold mother (‘Snow White’), Aunt Amey the witch of libido (‘Rapunzel’), and Ace the seducing Father (‘Briar Rose / Sleeping Beauty’)” (Middlebrook 337).

[xxxi]Interrogée sur son accession à l’écriture poétique, Anne Sexton racontait souvent sa version personnelle du conte “Blanche Neige” : “The queen in her story was her impressive mother, the daughter of a writer. The poisoned apple was society’s pressure on Anne to lead a conventional life in the suburbs of Boston, caring for her two daughters and helping her husband advance in his career in the wool business. The poison took: she became sick, attempted suicide. The magical transformation came in treatment by a psychiatrist who, something like the prince in the fairy tale, stumbled onto a remedy that woke her into a new life as a poet. Sexton called this awakening ‘her rebirth at twenty-nine,’ and added, ‘When I’m writing, I know I’m doing the thing I was born to do’” (Middlebrook 3).

[xxxii] “Snodgrass catalyzed in her a talent […] that would become her signature: the talent for making poetry the vehicle of autobiography, of self-analysis” (Middlebrook 82). “In 1958, the market value of an autobiographical ‘I’ in a poem was rising […]. The autobiographical or ‘confessional’ mode, no less literary for seeming less literary, invited the reader to equate word with person. Sexton’s letter zeros in on the gap” (Middlebrook 83).

[xxxiii] C’était sa réplique imparable au Dr. Orne lorsqu’il lui avançait que si elle se tuait, elle ne vivrait plus. Sa poésie en fait pour elle assurait sa renaissance après la mort (Middlebrook 165).

[xxxiv] “… even very personal poetry came from the power of words to radiate meanings beyond the poet’s conscious intention” (Middlebrook 82). “The feel of reality is only one of the tricky effects words achieve just by being arranged in certain ways, she observed. Readers are taken in by this. Praising the poem, they create a poet by projection” (Middlebrook 83)